Introduction au commentaire de la parasha (פָּרָשָׁה)

Dans cet article je vous propose d’apprendre à commenter une parasha (en hébreu : פָּרָשָׁה) ou section hebdomadaire issue du Pentateuque ou de la Torah lue à la synagogue. Pour ce faire nous allons étudier la parasha Yitro (en hébreu : יתרו) qui présente l’avantage d’être la parasha la plus courte. Cette parasha provient du livre du Exode ou « Noms » ou Shemot. Toutes les citations seront issues de la traduction de la Bible dite Segond 21.

  1. Que voulons nous faire ?
  2. Contexte de la parasha de Yitro et bref résumé
  3. Chapitre 18
    1. L’arrivée de Jéthro
    2. La proclamation de Jéthro
    3. Moïse parle
    4. Plaidoyer pour un partage des tâches
    5. Actions de Moïse et départ de Jéthro
  4. Chapitre 19
    1. Une nation de prêtres
    2. Dieu va se manifester
    3. Préparation à la manifestation de Dieu
    4. Dieu se manifeste
    5. Montée de Moïse
    6. Consignes aux israélites
  5. Chapitre 20
    1. Le décalogue ou dix commandements
    2. Le peuple tremble
    3. Interdiction des divinités et construction des autels
  6. Conclusions

Que voulons nous faire ?

Avant de commencer, il me semble important de préciser ce que nous allons tenter de faire ici. Dans un précédent article intitulé « Introduction à l’exégèse de la Bible Hébraïque » nous avons appris à mener une analyse exégétique en analysant le texte sous plusieurs angles : contexte historique, culturel, linguistique, théologique… Il s’agissait principalement de mettre en oeuvre des méthodes académiques pour analyser un texte biblique. Ce que nous voulons faire ici se rapproche d’une analyse plutôt religieuse du texte. L’objectif de cet article est donc plutôt de voir quels enseignements théologiques il est possible de tirer du texte. Par conséquent, nous ne mettrons pas en oeuvre certaines méthodes comme des recherches sur les auteurs du texte, nous ne poserons pas non plus des questions sur la datation, nous ne chercherons pas non plus à l’étudier en le comparant à d’autres textes. Toutefois, nous n’adopterons pas une attitude fondamentaliste par rapport au texte, et nous n’hésiterons pas par exemple à exploiter les silences du texte pour ouvrir des pistes de réflexion ou encore à souligner ce qui nous semble être des anomalies.

Contexte de la parasha de Yitro et bref résumé

La parasha de Yitro se situe dans le livre de l’Exode ou « Noms » ou Shemot. Yitro couvre les chapitres 18 à 20. Le livre de l’Exode raconte l’histoire du peuple hébreu depuis son esclavage en Egypte jusqu’à ses pérégrinations dans le désert pour arriver à la Terre promise, qui le conduira notamment au Mont Sinaï pour recevoir la Loi. Cette parasha porte le nom de Yitro qui correspond dans nos bibles au personnage de Jéthro, beau-père de Moïse. La parasha raconte l’histoire de l’arrivée de Jéthro au camp des hébreux jusqu’à la première réception des Dix Commandements.

Chapitre 18

L’arrivée de Jéthro

Jéthro, prêtre de Madian et beau-père de Moïse, apprit tout ce que Dieu avait fait en faveur de Moïse et d’Israël, son peuple, il apprit que l’Eternel avait fait sortir Israël d’Egypte. Jéthro, beau-père de Moïse, prit Séphora, la femme de Moïse. C’était après son renvoi. Il prit aussi les deux fils de Séphora; l’un s’appelait Guershom, car Moïse avait dit: «Je suis en exil dans un pays étranger», l’autre s’appelait Eliézer, car il avait dit: «Le Dieu de mon père m’a secouru et il m’a délivré de l’épée du pharaon.» Jéthro, le beau-père de Moïse, vint avec les fils et la femme de Moïse au désert où il campait, à la montagne de Dieu. Il fit dire à Moïse: «Moi, ton beau-père Jéthro, je viens te trouver avec ta femme, et ses deux fils l’accompagnent.»

La parasha commence par nous décrire l’arrivée de Jéthro, beau-père de Moïse, auprès des hébreux. Il est accompagné à cet effet de la femme de Moïse, Séphora, et deux ses deux fils : Guershom et Eliézer. Notons également, mais cela n’est pas très clair, que le texte indique possiblement un divorce entre Séphora et Moïse avec la formule « C’était après son renvoi ». Parle-t-on du renvoi de Séphora chez son père au moment où Moïse allait se rendre en Egypte ? Au chapitre 4 de l’Exode, alors que Séphora et Moïse sont en route pour l’Egypte, un très court passage qui est assez obscur nous dit que Dieu lui-même a voulu tuer Moïse. Séphora aurait alors immédiatement circoncis son fils (dont nous n’avons d’ailleurs pas le nom) puis jeté le prépuce aux pieds de Moïse en déclarant : « Tu es pour moi un mari de sang! ». L’interprétation courante est que Dieu aurait voulu punir Moïse de ne pas avoir respecté la circoncision. Quoi qu’il en soit, le texte ne mentionne pas ensuite un départ de Séphora pour retourner chez son père. Le texte se poursuit avec l’arrivée de Moïse et Aaron en Egypte sans mention de Séphora. Par l’expression renvoi, faudrait-il alors comprendre que l’on parle d’une répudiation ? Nous explorerons ce thème plus en avant dans ce commentaire. Même si le sujet n’est pas un point majeur de la parasha il reste quand même intrigant. Pour revenir à la parasha, la première chose notable est que nous apprenons que le miracle de la Mer Rouge (ou Mer des Joncs) semble s’être propagé bien au delà de la communauté israélite pour atteindre les divers peuples de la région. Ajoutons à cela également la récente victoire des hébreux contre les Amalécites à Rephidim (racontée au chapitre 17 de l’Exode) qui a pu également rencontrer des échos chez les peuples de la région. Faits à mettre en parallèle avec l’opposition des différents rois de la région que va rencontrer Moïse lors des différentes étapes de pérégrination de son peuple à travers le désert. Savaient-ils et ont-ils eu peur ? Ou s’agira-t-il d’épreuves envoyées par Dieu pour tester la résilience de son peuple ? L’autre élément frappant est celui qui concerne la signification des prénoms donnés aux fils de Moïse. Si le sens du prénom de Eliézer est un écho clair à l’histoire de Moïse qui a fui la punition du pharaon après le meurtre d’un égyptien, le sens du prénom de Guershom peut s’entendre comme un écho à la condition du peuple hébreu depuis son statut d’esclave en Egypte jusqu’à son actuelle traversée du désert jusqu’à la Terre Promise. Notons également les silences du narrateur. Par exemple, comment Jéthro a fait pour retrouver Moïse ? Nous n’aurons ici aucune réponse à ces questions. Enfin, notons que le narrateur parle de la « montagne de Dieu » alors que les hébreux ne sont pas encore arrivés au mont Sinaï, ce qui interviendra un peu plus tard dans la parasha.

La proclamation de Jéthro

Moïse sortit à la rencontre de son beau-père. Il se prosterna et l’embrassa. Ils s’informèrent réciproquement de leur santé, puis ils entrèrent dans la tente de Moïse. Moïse raconta à son beau-père tout ce que l’Eternel avait fait au pharaon et à l’Egypte à cause d’Israël, toutes les difficultés qu’ils avaient rencontrées en chemin et la façon dont l’Eternel les avait délivrés. Jéthro se réjouit de tout le bien que l’Eternel avait fait à Israël en le délivrant de la main des Egyptiens. Il dit: «Béni soit l’Eternel, qui vous a délivrés de la main des Egyptiens et de celle du pharaon, qui a délivré le peuple de la main des Egyptiens! Je reconnais maintenant que l’Eternel est plus grand que tous les dieux, puisque l’arrogance des Egyptiens est retombée sur eux.» Jéthro, le beau-père de Moïse, offrit à Dieu un holocauste et des sacrifices. Aaron et tous les anciens d’Israël vinrent participer à ce repas avec le beau-père de Moïse, en présence de Dieu.

On pourra d’abord s’étonner de ce que Moïse ne semble interagir à aucun moment avec sa femme Séphora, ici le narrateur semble au contraire privilégier les retrouvailles entre Jéthro et Moïse. Le silence du narrateur ne peut que nous laisser songeur, dans la mesure où la Bible Hébraïque ne manque pas d’exemples où hommes et femmes interagissent. On peut citer les passages décrivant la relation entre David et Bethsabée dans le livre de Samuel ou Shemouel, ou encore les interactions entre les Patriaches et leurs femmes respectives dans le livre de la Genèse ou « Au commencement » ou Bereshit. Pourquoi ce silence ? Pas une fois dans la parasha on ne voit Moïse interagir avec sa femme après une longue séparation. Ajoutons à cela que Séphora n’est mentionnée formellement que quatre fois dans la Bible Hébraïque, cette séquence étant l’une des dernières avec le chapitre 12 du livre Nombres ou « Dans le désert » ou Bamidbar qui évoque un conflit entre Aaron et Miriam face à Moïse au sujet d’une mystérieuse femme « cushite » que Moïse aurait épousé. Les interprétations divergent quant à savoir si cette femme est Séphora ou un autre femme. Le devenir de Séphora est un mystère complet. Une interprétation moderne mettrait en avant la place limitée qu’occupent souvent les femmes dans le texte biblique, silence qui laisserait à entendre une forme d’effacement de Séphora face à Moïse. On peut aussi attribuer cette situation à une forme d’économie narrative dont est coutumier le texte biblique. Ensuite, comme nous l’avons vu plus haut, le texte semble indiquer un possible divorce entre Moïse et Séphora bien que cela soit un peu obscur dans la mesure où la notion de renvoi peut faire autant écho à une « répudiation » qu’à un évènement passé. Mais peut-être que ce silence s’explique aussi par fait que le narrateur semble avoir un message plus important à nous faire passer. En effet, Jéthro découvre les miracles accomplis par Dieu et va jusqu’à le bénir au dessus des autres dieux. Il va également jusqu’à offrir un sacrifice. Fait d’autant plus remarquable que Jéthro est lui même prête chez les Madianites. Sans parler d’adhésion au monothéisme, on peut plutôt y voir la confirmation d’une forme de monolâtrie. Nous n’en sommes pas encore à la profession de foi des israélites qui parle du Dieu UN.

Moïse parle

Le lendemain, Moïse siégea pour juger le peuple et le peuple se présenta devant lui depuis le matin jusqu’au soir. Le beau-père de Moïse vit tout ce qu’il faisait pour le peuple et dit: «Que fais-tu là pour ce peuple? Pourquoi sièges-tu tout seul et pourquoi tout le peuple se présente-t-il devant toi, depuis le matin jusqu’au soir?» Moïse répondit à son beau-père: «C’est que le peuple vient vers moi pour consulter Dieu. Quand ils ont une affaire, ils viennent vers moi. Je juge entre les parties et je fais connaître les prescriptions de Dieu et ses lois.»

Après avoir adressé sa bénédiction à Dieu, ce nouveau paragraphe nous met en face d’une remontrance adressée par Jéthro. Sans remettre en cause ses talents d’orateur et de juge, Jéthro interroge toutefois Moïse quant à sa conduite. Est-il bon qu’il juge seul le peuple et soit le seul intermédiaire entre Dieu et les Hommes ? Moïse ne semble pas décontenancé et se justifie, il est tout simplement l’intermédiaire entre Dieu et les Hommes.

Plaidoyer pour un partage des tâches

Le beau-père de Moïse lui dit: «Ce que tu fais n’est pas bien. Tu vas t’épuiser toi-même et tu vas épuiser ce peuple qui est avec toi. En effet, la tâche est trop lourde pour toi, tu ne pourras pas la mener à bien tout seul. Maintenant écoute-moi. Je vais te donner un conseil et que Dieu soit avec toi! Sois le représentant du peuple auprès de Dieu et porte les affaires devant Dieu. Enseigne-leur les prescriptions et les lois, fais-leur connaître le chemin qu’ils doivent suivre et ce qu’ils doivent faire. Choisis parmi tout le peuple des hommes capables, qui craignent Dieu, des hommes intègres, ennemis du gain malhonnête. Etablis-les sur eux comme chefs de milliers, de centaines, de cinquantaines et de dizaines. Ce sont eux qui jugeront le peuple de manière permanente. Ils porteront devant toi toutes les affaires importantes et jugeront eux-mêmes les petites causes. Allège ta charge et qu’ils la portent avec toi. Si tu fais cela et que Dieu te l’ordonne, tu pourras tenir bon et tout ce peuple parviendra en paix à sa destination.»

Jéthro va alors enseigner à Moïse un conseil précieux : partager les tâches et instruire le peuple. On retrouve alors ici une doctrine importante de la Torah qui veut que les Hommes ne soient pas uniquement soumis à l’autorité d’une personne mais au contraire capable d’esprit critique et de responsabilité. Sans s’avancer trop, on peut même dire de la Torah qu’elle est un ode à la liberté dans la mesure où une grande partie de la narration tourne autour de la libération de tout un peuple de l’esclavage. Plus qu’un simple conseil, ce paragraphe pose les bases de ce qui va devenir les futures lois de la communauté israélite avec notamment la création d’une classe de prêtres dont les lois et préceptes sont détaillés dans le Lévitique ou « Et il appela » ou Vayiqra. Le peuple doit ici prendre sa part de responsabilité. Moïse n’est donc pas seulement un guide mais également un instructeur pour le peuple.

Actions de Moïse et départ de Jéthro

Moïse écouta son beau-père et fit tout ce qu’il avait dit. Moïse choisit parmi tout Israël des hommes capables et les établit chefs du peuple, chefs de milliers, de centaines, de cinquantaines et de dizaines. Ils jugeaient le peuple de manière permanente. Ils portaient devant Moïse les affaires difficiles et jugeaient eux-mêmes toutes les petites causes.

Moïse laissa partir son beau-père et Jéthro retourna dans son pays.

Ici, peu de choses à dire si ce n’est que Moïse met en oeuvre les conseils de Jéthro et décide du partage des tâches au sein de la communauté. Par contre, notons que Jéthro s’en va et retourne dans son pays. Cela ne peut qu’interpeller le lecteur dans la mesure où Jéthro à pourtant donné sa bénédiction au Dieu d’Israël et a reconnu sa primauté sur les autres dieux. Plusieurs interprétations sont possibles. On peut alors voir Jéthro comme symbole de l’humanité qui a rencontré Dieu mais a refusé – en quelque sorte – ses enseignements. Son départ incite également à le voir comme un symbole de l’humanité qui n’est pas soumise au joug de la Torah. Rappelons que dans le judaïsme, l’humanité toute entière a le droit au respect et à la considération du moment qu’elle respecte les lois de la morale. Celle édictée, dit-on d’après la tradition juive, à l’époque du personnage de Noé dans le livre de Genèse ou « Au commencement » ou Bereshit après le déluge, et qui constitue la première alliance biblique. On parle alors de Noachisme. Là aussi les silences du narrateur ne peuvent que nous laisser songeur. Que va devenir Jéthro une fois retourné dans son pays ? Lui qui est prêtre et qui a reconnu la primauté du Dieu des hébreux sur les autres dieux ? Nous ne pouvons ici que faire des suppositions, dans la mesure où le narrateur ne laisse rien transparaître quant au destin de Jéthro. Peut-être faut-il voir dans Jéthro aussi la figure d’un converti qui va se charger de propager la bonne nouvelle ? Réflexions à mettre en parallèle avec le fait que les Madianites seront passés par le fil de l’épée au chapitre 31 du livre des Nombres ou « Dans le désert » ou Bamidbar. Ce départ de Jéthro, sans mention de Séphora ni de ses enfants, laisse à priori à penser que ces derniers sont très probablement restés avec Moïse. Mais l’extrême silence des auteurs de la Bible Hébraïque quant à Séphora laisse la place à beaucoup de spéculation.

Chapitre 19

Une nation de prêtres

Le jour même du troisième mois après leur sortie d’Egypte, les Israélites arrivèrent au désert du Sinaï. Partis de Rephidim, ils arrivèrent au désert du Sinaï et campèrent dans le désert. Israël campa là, vis-à-vis de la montagne. Moïse monta vers Dieu et l’Eternel l’appela du haut de la montagne en annonçant: «Voici ce que tu diras à la famille de Jacob, ce que tu communiqueras aux Israélites: Vous avez vu ce que j’ai fait à l’Egypte et la façon dont je vous ai portés sur des ailes d’aigle et amenés vers moi. Maintenant, si vous écoutez ma voix et si vous gardez mon alliance, vous m’appartiendrez personnellement parmi tous les peuples, car toute la terre m’appartient. Vous serez pour moi un royaume de prêtres et une nation sainte.’ Voilà les paroles que tu diras aux Israélites.»

Ici on retrouve le début de la profession de foi de la communauté israélite, à savoir le credo : écouter le voix de Dieu et garder son alliance. Mais encore plus important, les israélites seront une nation sainte et une nation de prêtres. Ici, l’élection du peuple hébreu dépasse la simple « appartenance » à Dieu pour se rapprocher d’une condition qui impose le respect de nombreux commandements et une attitude différente des autres peuples de la Terre. Cela passe par le respect de nombreux rituels et l’application des commandements qui seront détaillés dans la suite de la parasha, ainsi que dans les livres suivants de la Torah.

Dieu va se manifester

Moïse vint appeler les anciens du peuple et leur exposa toutes ces paroles, comme l’Eternel le lui avait ordonné. Le peuple tout entier répondit: «Nous ferons tout ce que l’Eternel a dit.» Moïse rapporta les paroles du peuple à l’Eternel. Et l’Eternel dit à Moïse: «Voici, je vais moi-même venir vers toi dans une épaisse nuée afin que le peuple entende quand je te parlerai et qu’il ait toujours confiance en toi.» Moïse rapporta les paroles du peuple à l’Eternel.

Le peuple israélite fait ici le serment d’être le peuple de Dieu. Serment qui n’empêchera toutefois pas les hébreux de se révolter à plusieurs reprises comme en témoigneront plus tard de nombreux épisodes comme celui très célèbre du Veau d’Or qui interviendra un peu plus tard dans le livre de l’Exode (plus précisément au chapitre 32). Viens ensuite la promesse de Dieu de se manifester auprès de son peuple et témoigner ainsi de sa véritable existence en déchainant les éléments.

Préparation à la manifestation de Dieu

L’Eternel dit à Moïse: «Va vers le peuple. Consacre-les aujourd’hui et demain, et qu’ils lavent leurs vêtements. Qu’ils soient prêts pour le troisième jour, car le troisième jour, sous les yeux de tout le peuple, l’Eternel descendra sur le mont Sinaï. Tu fixeras au peuple des limites tout autour de la montagne et tu diras: ‘Gardez-vous bien de monter sur la montagne ou d’en toucher le bord. Tout homme qui touchera la montagne sera puni de mort. On ne mettra pas la main sur lui, mais on le lapidera ou on le transpercera de flèches: qu’il s’agisse d’un animal ou d’un homme, il ne vivra pas.’ Quand la trompette sonnera, ils s’avanceront vers la montagne.» Moïse descendit de la montagne vers le peuple. Il consacra le peuple et ils lavèrent leurs vêtements. Et il dit au peuple: «Soyez prêts dans trois jours. Ne vous approchez d’aucune femme.»

On peut voir dans cet épisode un parallèle avec le passage du buisson ardent (toujours dans le livre de l’Exode) où Dieu invite Moïse à se purifier car il s’agit pour Dieu d’une terre sainte. Nous retrouvons ici déjà des rituels de purification : laver les vêtements, ne pas s’approcher des femmes… Rituels qui font écho aux rites détaillés dans les livres suivants de la Torah (notamment le Lévitique). Notons des parallèles avec le sanctuaire qui sera construit plus tard par les hébreux sous le nom d’Arche d’Alliance puis de temple sous Salomon en Israël, notamment la présence d’une délimitation géographique précise (ici les bords de la montagne) qui ne doit pas être approchée sous peine de sanctions. La mention de cette obligation de ne pas s’approcher des femmes peut expliquer en partie le silence qui existe entre Moïse et Séphora.

Dieu se manifeste

Le matin du troisième jour, il y eut des coups de tonnerre, des éclairs et une épaisse nuée sur la montagne. Le son de la trompette retentit fortement et tout le peuple qui était dans le camp fut épouvanté. Moïse fit sortir le peuple du camp pour aller à la rencontre de Dieu, et ils se placèrent au bas de la montagne. Le mont Sinaï était tout en fumée parce que l’Eternel y était descendu au milieu du feu. Cette fumée s’élevait comme la fumée d’une fournaise et toute la montagne tremblait avec violence.

Ici la puissance de Dieu se manifeste avec des images fortes : le tonnerre, les éclairs, de la fumée etc… Dieu déchaine les éléments pour apparaître auprès des hébreux. Pourquoi déchaîner les éléments et ne pas choisir par exemple un autre mode d’apparition ? Sans doute parce que Dieu a l’habitude depuis l’épisode de la Mer des Joncs (ou Mer Rouge) d’accomplir des miracles en mettant en oeuvre le surnaturel et en utilisant les éléments de la nature. Il faut aussi marquer les esprits et laisser un souvenir inoubliable.

Montée de Moïse

Le son de la trompette retentissait de plus en plus fortement. Moïse parlait, et Dieu lui répondait à haute voix. Ainsi l’Eternel descendit sur le mont Sinaï, au sommet de la montagne. L’Eternel appela Moïse à y venir et Moïse monta.

La montée de Moïse sur le mont Sinaï commence. Ici Dieu dialogue avec Moïse à voix haute. Toutefois, notons que le narrateur ne nous dit rien du dialogue qui se joue entre Moïse et Dieu. Faut-il déduire de ce silence que le dialogue était inaccessible aux hébreux au pied de la montagne ?

Consignes aux israélites

L’Eternel dit à Moïse: «Descends avertir le peuple de ne pas se précipiter vers l’Eternel pour regarder, car un grand nombre parmi eux mourraient. Que les prêtres qui s’approchent de l’Eternel se consacrent aussi, de peur que l’Eternel ne les frappe de mort.» Moïse dit à l’Eternel: «Le peuple ne pourra pas monter sur le mont Sinaï, puisque tu nous as toi-même donné cet avertissement: ‘Fixe des limites autour de la montagne et déclare-la sacrée.’» L’Eternel lui dit: «Vas-y, descends. Tu monteras ensuite en compagnie d’Aaron. Quant aux prêtres et au peuple, qu’ils ne se précipitent pas pour monter vers l’Eternel, de peur qu’il ne les frappe de mort.» Moïse descendit vers le peuple et lui parla.

Nous avons ici une répétition typiquement biblique qui est déjà énoncée plus haut, lorsque Dieu demandait déjà de ne pas s’approcher de la montagne sacrée sous peine de mort. Notons ici que Moïse sera accompagné d’Aaron ce qui n’était (semble-t-il ?) pas le cas lors de la « première montée » de Moïse.

Chapitre 20

Le décalogue ou dix commandements

Alors Dieu prononça toutes ces paroles: «Je suis l’Eternel, ton Dieu, qui t’ai fait sortir d’Egypte, de la maison d’esclavage.

»Tu n’auras pas d’autres dieux devant moi.

»Tu ne te feras pas de sculpture sacrée ni de représentation de ce qui est en haut dans le ciel, en bas sur la terre et dans l’eau plus bas que la terre. Tu ne te prosterneras pas devant elles et tu ne les serviras pas, car moi, l’Eternel, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux. Je punis la faute des pères sur les enfants jusqu’à la troisième et la quatrième génération de ceux qui me détestent, et j’agis avec bonté jusqu’à 1000 générations envers ceux qui m’aiment et qui respectent mes commandements.

»Tu n’utiliseras pas le nom de l’Eternel, ton Dieu, à la légère, car l’Eternel ne laissera pas impuni celui qui utilisera son nom à la légère.

»Souviens-toi de faire du jour du repos un jour saint. Pendant 6 jours, tu travailleras et tu feras tout ce que tu dois faire. Mais le septième jour est le jour du repos de l’Eternel, ton Dieu. Tu ne feras aucun travail, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton esclave, ni ta servante, ni ton bétail, ni l’étranger qui habite chez toi. En effet, en 6 jours l’Eternel a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qui s’y trouve, et il s’est reposé le septième jour. Voilà pourquoi l’Eternel a béni le jour du repos et en a fait un jour saint.

»Honore ton père et ta mère afin de vivre longtemps dans le pays que l’Eternel, ton Dieu, te donne.

»Tu ne commettras pas de meurtre.

»Tu ne commettras pas d’adultère.

»Tu ne commettras pas de vol.

»Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain.

»Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain; tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain, ni son esclave, ni sa servante, ni son boeuf, ni son âne, ni quoi que ce soit qui lui appartienne.»

Sans doute l’élément le plus important de cette parasha, se trouve ici le décalogue ou les Dix Commandements que doit respecter le peuple hébreu. C’est la première fois dans la Bible Hébraïque que ces derniers sont déclamés. Ces Dix Commandements viennent après le rappel de Dieu concernant la sortie d’Egypte des hébreux, qui est un thème récurrent de la Torah. On y trouve des lois tant théologiques (tu ne feras pas d’idoles, tu n’auras pas d’autres dieux, respect du Shabbat etc…), morales (tu ne commettras pas d’adultère, tu ne convoiteras pas les biens de ton prochain…) que légales (tu ne commettras pas de vols, tu ne commettras pas de meurtres…). Ces Dix Commandements sont d’une importance extrême pour les israélites car ils constituent le socle d’une vie en communauté sous l’égide de Dieu. Si vous avez déjà vu une synagogue ou une représentation des Tables de la Loi, vous remarquerez que les Dix Commandements sont représentés comme deux tables distinctes, qui contiennent chacune 5 commandements et qui sont côtes à côtes. Dans le judaïsme on interprète cela comme le fait que les commandements ont interdépendants et que la rupture de l’un entre la rupture de l’autre. Exemple avec le premier commandement :

Je suis l’Eternel, ton Dieu, qui t’ai fait sortir d’Egypte, de la maison d’esclavage.

Et le sixième :

Tu ne commettras pas de meurtre

Une interprétation rabbinique de ce parallélisme, proposée par le Rabbin Louis Ginzberg, voudrait dire que celui qui comment un meurtre abîme l’image de Dieu. On peut faire le même travail avec le second commandement :

Tu n’auras pas d’autres dieux devant moi.

»Tu ne te feras pas de sculpture sacrée ni de représentation de ce qui est en haut dans le ciel, en bas sur la terre et dans l’eau plus bas que la terre. Tu ne te prosterneras pas devant elles et tu ne les serviras pas, car moi, l’Eternel, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux. Je punis la faute des pères sur les enfants jusqu’à la troisième et la quatrième génération de ceux qui me détestent, et j’agis avec bonté jusqu’à 1000 générations envers ceux qui m’aiment et qui respectent mes commandements.

Et le septième :

Tu ne commettras pas d’adultère

Une autre interprétation rabbinique voudrait que l’adultère sois assimilable à l’idolâtrie. Et ainsi de suite. Enfin, pour conclure sur les Dix Commandements, ouvrons nous à la réflexion sur le fait que ces derniers sont donnés au beau milieu du désert. Pourquoi pas en Egypte ? Ou pourquoi ne pas attendre l’arrivée sur le Terre Promise ? Plusieurs interprétations ont été proposées. Tout d’abord le désert n’appartient à personne, ainsi le don de la Loi sera attaché strictement au peuple hébreu et non pas à une terre en particulier. Ce qui est d’ailleurs une spécificité typique du peuple hébreu qui reçoit la Loi avant de recevoir la terre, alors que la logique du reste de l’humanité est l’inverse. La terre est d’abord occupée puis les Hommes s’associent et obtiennent des lois. Cette logique qui prendra tout son sens lorsque le peuple hébreu connaîtra l’Exil en Assyrie puis en Babylonie. Si la Loi avait été attaché à la terre, alors elle aurait disparu. Une autre interprétation voudrait que le don de la Loi implique pour soi-même d’être à l’image du désert : ouvert pour accueillir la Loi.

Le peuple tremble

Tout le peuple entendait les coups de tonnerre et le son de la trompette et voyait les flammes de la montagne fumante. A ce spectacle, le peuple tremblait et se tenait à bonne distance. Ils dirent à Moïse: «Parle-nous, toi, et nous écouterons; mais que Dieu ne nous parle pas, sinon nous mourrions.» Moïse dit au peuple: «N’ayez pas peur, car c’est pour vous mettre à l’épreuve que Dieu est venu et c’est pour que vous ayez sa crainte devant les yeux afin de ne pas pécher.» Le peuple restait à bonne distance, mais Moïse s’approcha de la nuée où se trouvait Dieu.

Le peuple respecte ici la consigne donnée de ne pas s’approcher, sans doute plus par crainte des éléments (tonnerre, flamme, fumée…) que par crainte d’une simple restriction. Une petite interrogation concerne le fait que Moïse parle au peuple alors que ce dernier est censé être en train d’escalader la montagne. Le narrateur ne fournit pas d’explications ici sur ce qui pourrait être vu comme une petite anomalie.

Interdiction des divinités et construction des autels

L’Eternel annonça à Moïse: «Voici ce que tu diras aux Israélites: ‘Vous avez vu que je vous ai parlé depuis le ciel. Vous ne ferez pas de dieux en argent et en or pour me les associer; vous ne vous en ferez pas. C’est un autel en terre que tu me construiras et tu y offriras tes holocaustes et tes sacrifices de communion, tes pièces de petit et de gros bétail. Partout où je rappellerai mon nom, je viendrai vers toi et te bénirai. Si tu me construis un autel de pierre, tu ne le feras pas en pierres taillées, car en passant ton ciseau sur la pierre, tu la rendrais profane. Tu ne monteras pas à mon autel par des marches afin de ne pas dévoiler ta nudité.’

Nouvelle répétition typiquement biblique, celle ici de ne pas faire d’idoles ou de dieux sous la forme de statuettes ou autres objets. Promesse trahie plus tard par les hébreux avec la création du Veau d’Or au chapitre 32 de l’Exode. Notons également l’introduction de consignes relatives à la construction des autels. Ici, le dessein de Dieu est très éloigné de ce qui sera fait plus tard avec la construction de la Tente de la Rencontre et de l’Arche Sainte, ou encore le Temple à Jérusalem. Ici, seulement des autels de terre ou alors de pierres non taillées. Pourquoi de telles consignes puis un tel revirement plus tard ? Peut-être pour apprendre aux israélites à rester humble ? On peut aussi noter que le véritable sanctuaire se situe au moment de l’action sur le mont Sinaï. Peux-être faut-il y voir une volonté de Dieu que les Israélites ne construisent pas un second sanctuaire et se détournent ainsi de lui ?

Conclusions

Nous avons donc appris ici à commenter une parasha en la décomposant en petit paragraphes facilement analysable. La parasha de Yitro, bien que la plus courte de toutes les parashas, est extrêmement importante à plusieurs titres. Tout d’abord, elle pose le socle d’une rencontre entre les hébreux et le reste de l’humanité incarnée ici par le personnage de Jéthro (Yitro en hébreu) qui reconnait ici la puissance du Dieu des israélites, mais repart malgré tout vers sa propre contrée. On peut y voir tantôt le refus du reste de l’humanité de vivre sous le joug de la Torah, tantôt un symbole du respect de la religion juive pour le reste de l’humanité dans la mesure où cette dernière respecte les lois de la moralité, ou encore la possibilité d’une conversion et le début d’un long voyage pour prêcher la bonne nouvelle. Mais ce ne sont toutefois que des spéculations dans le mesure où le narrateur reste très silencieux sur l’état d’esprit et les intentions de Jéthro. Ici Jéthro a toutefois respecté une des lois plus importantes du judaïsme à savoir celle de ne reconnaître comme supérieur qu’un seul dieu, même si dans le contexte de la parasha cela ressemble plus à une forme de monolâtrie qu’à un vrai monothéisme. Cette loi est d’ailleurs au centre de la profession de foi des israélites avec le Shema Israël. L’autre élément absolument central de cette parasha c’est l’énonciation des Dix Commandements. Plus qu’une simple liste de lois, ces dix commandements posent les bases de ce que doit être la vie en société des israélites : amour du prochain, honnêteté, préservation contre l’idolâtrie, respect du Shabbat…

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