Le Tanakh (תָּנָ״ךְ) (Bible Hébraïque) ou Ancien Testament discute dans de nombreux versets d’un élément fondamental à l’établissement de toute société ou civilisation : l’agriculture. L’ambition ici n’est pas d’écrire une histoire de l’agriculture au Proche et Moyen-Orient ancien, mais d’explorer un certain nombre de versets bibliques clés et de chercher à comprendre leur signification (tant pour les Hommes de son temps que le lecteur moderne). En particulier dans un contexte où nos sociétés modernes (sous l’influence historique des exodes ruraux et de la mécanisation) sont devenues très déconnectées d’un enjeu qui était fondamental du temps de la Bible Hébraïque. Pour des raisons de simplicité (à la différence d’autres articles sur le blog) je n’utilise ici que les noms français des livres de la Bible Hébraïque. L’article est illustré de photos agricoles (obtenues sur Wikimedia) pour rappeler la permanence de ce thème qui est intemporel, tant pour les sociétés passées que modernes.
L’histoire de l’agriculture trouve son origine en Mésopotamie et plus particulièrement à Sumer. C’est là que l’agriculture a émergé de même que l’écriture. Le début de l’histoire, pour reprendre le titre du livre de Samuel Noah Kramer « L’histoire commence à Sumer ». Le sujet et la maîtrise agricole sont attestés par de nombreux bas-reliefs de l’époque :

Un sujet discuté également avec humour par les Hommes de l’époque dans le célèbre texte Sumérien “Débat entre la houe et l’araire”. La houe perdant le débat en faveur de l’araire, même si elle n’en reste pas moins un outil agricole indispensable et associé aujourd’hui à l’agriculture vivrière (ou de subsistance). A titre de rappel, voici à quoi ressemble ces deux outils (houe à gauche, et araire à droite) :


La région du Proche et Moyen-Orient Antique est surtout connue dans l’imaginaire collectif comme le croissant fertile :

Cette région agricole allait du Golfe Persique jusqu’à la région du Nil en Egypte. Une région à l’histoire complexe, ayant connu plusieurs empires successifs : Sumer, Égypte, Assyrie, Babylonie, Perse… Les Israélites vivant en Canaan (matérialisé par la mention “Judée” sur la carte) étant constamment menacés dans les écrits bibliques entre des empires puissants au Nord et au Sud, ayant à faire régulièrement des compromis parfois difficiles pour survivre. L’agriculture dans cette région présente des contraintes particulières illustrées par cette carte (la faiblesse des terres arables entourées par des étendues désertiques) :

Du fait de la salinisation, la région n’est plus aussi fertile qu’autrefois dans les territoires actuels de l’Irak et la Syrie, même si l’agriculture y persiste bien évidemment. Le monde a beaucoup changé entre l’agriculture des premiers millénaires et notre agriculture contemporaine. Trois photos pour illustrer ces progrès constants :

Elle se pratique aussi et toujours de nombreuses façons (manuelle, semi-mécanisée, vivrière ou encore industrielle) :


Mais un trait commun persiste : les Hommes l’ont pratiqué sans relâche, manuellement ou avec des outils modernes, que ce soit en temps de paix, durant de grands bouleversements sociaux (épidémies, révoltes…) ou encore en temps de guerre. Toutes les citations bibliques sont issues de la traduction de la Bible dite Segond 21.
L’Eternel ordonnera à la bénédiction d’être avec toi dans tes greniers et dans toutes tes entreprises. Il te bénira dans le pays que l’Eternel, ton Dieu, te donne. – Deutéronome 28:8
Ce verset biblique s’inscrit dans un schéma récurrent dans la Bible Hébraïque et dans le dialogue entre Dieu et les Hommes : si vous me faîtes confiance et suivez mes commandements, vous vivrez dans l’abondance. L’image des greniers à blé est particulièrement évocatrice pour des individus conditionnés par la bonne marche des récoltes.
Que Dieu te donne de la rosée du ciel et des richesses de la terre, du blé et du vin en abondance! – Genèse 27:28
La promesse toujours renouvelée d’un Dieu à la fois sévère mais aimant à l’égard de sa création et du monde qu’il a créé. La promesse et l’espoir d’une abondance agricole vitale et nécessaire

Les aires se rempliront de blé, et les cuves regorgeront de vin nouveau et d’huile. Je vous remplacerai les années qu’ont dévorées la sauterelle, le grillon, le criquet et la chenille, ma grande armée que j’avais envoyée contre vous. – Joël 2:24-25
Ce verset évoque la promesse d’un renouveau agricole (blé, vin et huile) après une grande catastrophe. Bien que ce verset ne soit pas lié directement à la pratique agricole, il nous rappelle que les catastrophes et obstacles ne sont que temporaires : une épreuve destinée à nous tester, et donc la conclusion heureuse est un redémarrage de la vie, en l’occurrence l’abondance agricole dans le cas de ce verset. Un motif fréquent dans de nombreux textes de la Bible Hébraïque.
Connais bien chacune de tes brebis, donne tes soins à tes troupeaux, car la richesse ne dure pas toujours. Une couronne se transmet-elle indéfiniment? Le foin est récolté, la verdure reparaît et les herbes des montagnes sont rassemblées. Les agneaux servent à t’habiller, les boucs à payer un champ, et le lait des chèvres suffit à ta nourriture, à celle de ta maison et à l’entretien de tes servantes. – Proverbes 27:23-27
Un système agricole optimal (à l’époque d’écriture de la Bible Hébraïque) avait besoin des animaux notamment pour le labour des champs. Mais également pour se nourrir de viande, de lait et réaliser les sacrifices nécessaires. Ce verset illustre aussi une innovation majeure du Judaïsme : notre obligation de ne jamais faire souffrir et de toujours prendre soin des animaux quels qu’ils soient.

Celui qui observe le vent ne sèmera pas et celui qui regarde les nuages ne moissonnera pas. – Ecclésiaste 11:4
Comme un verset évoqué plus bas, ce verset peut évoquer l’immanence des cycles agricoles. L’image du vent peut faire écho à nos préoccupations modernes quant au changement climatique; dont les argumentaires apocalyptiques peuvent parfois prévenir toutes capacités d’actions. Les conditions agricoles ne peuvent pas être toujours parfaites (et le sont-elles réellement ?), ce qui ne nous dispense pas de trouver des solutions et de penser à la récolte à venir.
A cause du froid, le paresseux ne laboure pas; au moment de la moisson il voudrait récolter, mais il n’y a rien. – Proverbes 20:4
Comme un autre verset évoqué plus bas, ce dernier s’adresse aux Hommes de son temps et à nos agriculteurs modernes. Les cycles agricoles n’obéissent pas à des logiques abstraites mais saisonnières et climatiques sur lesquelles on ne peut pas faire l’impasse. Le labour est nécessaire à l’ensemensage, qui est lui-même nécessaire à la récolte, qui elle-même dépend de toutes les actions précédentes sans lesquelles elle ne peut se produire. Mais le verset s’adresse aussi à nous lecteurs modernes sans lien avec le monde agricole : sommes-nous capables de conceptualiser le travail nécessaire à ce que nous trouvons chaque jour dans nos assiettes ?

Sème tes graines dès le matin et le soir ne laisse pas ta main en repos, car tu ne sais pas ce qui réussira: est-ce que ce sera ceci ou cela? Est-ce que l’un et l’autre seront également bons? – Ecclésiaste 11:6
Ce verset pourrait évoquer l’expression “ne pas mettre” tous les oeufs dans le même panier, et aussi ce que l’on appelle communément le bon sens paysan. Dans le contexte actuel de ce qu’on appelle la monoculture (à savoir des régions entières consacrées à la culture d’un produit, comme les grandes régions céréalières), ce verset peut aussi nous faire réfléchir sur la nécessité d’une agriculture plus diversifiée voir raisonnée. Le besoin d’un paysage agricole à la fois diversifié, nécessaire sur le plan écologique et aussi humain.
Ceux qui sèment avec larmes moissonneront dans la joie, celui qui marche en pleurant avec un sac de semence reviendra avec joie en portant ses gerbes – Psaumes 126:5–6
Ce très beau verset peut évoquer la souffrance que peuvent traverser de nombreuses sociétés (famine, guerre, génocide…) et la nécessité pour ces dernières de maintenir à tout prix les cycles agricoles envers et contre tout. L’image de ces cultivateurs partant ensemencer dans la douleur les champs nécessaires à la nourriture de demain sans savoir si cela fonctionnera, et revenant plein de joie en est la parfaite illustration.

Son Dieu lui a enseigné la règle à suivre, il l’a instruit : on n’écrase pas la nigelle avec le traîneau et la roue du chariot ne passe pas sur le cumin, mais on bat la nigelle avec un bâton et le cumin avec une baguette; par contre, on doit écraser le blé pour en faire du pain, on ne le bat pas indéfiniment, et si l’on fait passer la roue du chariot et les chevaux dessus, il n’est pas écrasé. – Ésaïe 28:26-28
Les consommateurs de pain en boulangerie connaissent-ils l’ensemble du processus allant du blé dans les champs au pain dans leurs magasins ? Ce verset devait servir de rappel de bon sens aux lecteurs de son temps, mais aussi de rappel nécessaire à une société moderne ayant perdu tout lien avec le monde agricole. De la récolte au produit consommé, le blé subit tout un processus de production, récolte et transformation à la fois complexe et ignoré, mais sans lequel nous ne pouvons pas manger.
Tant que la terre subsistera, les semailles et la moisson, le froid et la chaleur, l’été et l’hiver, le jour et la nuit ne cesseront pas. – Genèse 8:22
Sans être directement lié à l’agriculture, ce verset est surtout un synonyme d’espoir. Quelque puissent être les catastrophes ou les évènements humains qui pourraient altérer l’agriculture, un renouveau est toujours garanti. Si la Terre est toujours là ainsi que les Hommes, un renouveau agricole (même difficile) est possible.

Si vous obéissez aux commandements que je vous prescris aujourd’hui, si vous aimez l’Eternel, votre Dieu, et si vous le servez de tout votre coeur et de toute votre âme, je donnerai au moment voulu la pluie à votre pays, les premières et les dernières pluies, et tu récolteras ton blé, ton vin nouveau et ton huile. Je mettrai aussi dans tes champs de l’herbe pour ton bétail et tu mangeras à satiété. – Deutéronome 11:13-15
Ce verset du Deutéronome est contenu dans la prière centrale du Judaïsme, le Shema Israël (שְׁמַע יִשְׂרָאֵל) centrée sur le respect absolu envers un Dieu UN et indivisible. Son inclusion ne tient pas au hasard pour les Hommes de l’époque. Une récolte abondante (dans un monde où chacun dépendait directement du travail agricole) était non seulement une nécessité alimentaire mais également cyclique : sans récolte, impossible de prévoir la suivante. On reconnaît les produits agricoles symboles anciens (et modernes) de l’abondance. Le blé qui est le symbole agricole par excellence. Le vin associé à la vigne. Et l’huile qui peut être également associée à l’onction des rois des premiers royaumes d’Israël (on parle d’onction, l’acte d’oindre d’huile la tête du nouveau roi).

Celui qui cultive son terrain est rassasié de pain, mais celui qui poursuit des réalités sans valeur manque de bon sens. – Proverbes 12:11
Ce proverbe peut sembler anachronique pour le lecteur moderne et urbain, qui ne fait peut-être connaissance avec l’agriculture qu’au moment de promenades à la campagne ou à l’occasion de visites dans des jardins collectifs en ville, mais qui n’en connaît pas forcément les fondamentaux : labour, ensemensage, binage… ni les outils : charrue, houe, faux… Les sociétés qui se sont développés au Proche et Moyen-Orient (dont les grandes civilisations comme Sumer ou l’Egypte) ont vu l’émergence d’une agriculture suffisamment développée pour permettre d’activités non-liées à l’agriculture et la construction de monuments (Pyramides en Egypte, Ziggurat à Sumer…), sans pour autant que la structure sociologique ressemble à celle de nos sociétés modernes. La majorité de la population devait travailler dans les champs pour se sustenter et sustenter les autres, dans un contexte de mécanisation inexistante. Ce proverbe s’adresse aux Hommes de son temps : qui à cette époque aurait pu se permettre de ne pas s’occuper du labour, des champs et de la récolte ? Mais aussi à nous qui sommes pour beaucoup déconnectés des réalités du monde agricole : ne devrions-nous pas nous interroger sur la façon dont nous prenons pour acquis des choses (en l’occurrence, l’abondance de nourriture sans jamais la produire nous-mêmes) qui ne le seront pas forcément éternellement ?
Conclusions
Ces versets bibliques (et les photos qui les accompagnent) nous rappellent une chose : l’agriculture est la base de toute société fonctionnelle à travers les âges, les époques et les cultures. Qu’il s’agisse d’agriculture vivrière ou industrielle. Sans elle, nous ne pouvons ni manger, ni vivre, ni nous projeter. Si nous devions, nous lecteurs modernes, nous interroger ou faire quelque chose; ce serait pour réfléchir à quel point nous sommes devenus parfois totalement déconnectés du monde agricole dont pourtant toutes nos sociétés modernes dépendent. La prochaine fois que nous nous rendrons à la campagne : pensons à comment ces gens travaillent, ce qu’ils font pousser, comment et où. De même, nous devrions avoir un autre regard sur l’agriculture de subsistance pratiquée dans de nombreuses régions du monde. Malgré leurs difficultés, ces individus ont plus de connaissances agricoles que de nombreux citadins modernes.
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