Le Noachisme et les lois Noachides

Je vous propose dans cet article que découvrir une législation méconnue du judaïsme et qui doit s’adresser à l’ensemble de l’humanité : le Noachisme. Nous verrons donc en détail de quoi il s’agit, ses origines ainsi que sa pertinence à notre époque.

  1. Définitions
  2. Le judaïsme : une religion qui n’est pas prosélyte
  3. Quelques textes à lire
    1. Israël et l’Humanité d’Elie Benamozegh
    2. Le Sanctuaire Inconnu d’Aimé Pallière
    3. Le noachisme aujourd’hui d’Oury Cherki
    4. Les lois noahides : Une mini-Torah pré-sinaïtique pour l’humanité et pour Israël par Liliane Vana
  4. Les Sept lois de Noé et leur origine
  5. Les pratiquants et les pratiques
  6. Des communautés naissantes
  7. Conclusions

Définitions

Le noachisme (que l’on peut prononcer noachisme ou noarisme) peut se définir de plusieurs façons. Si on en croit Wikipedia, il s’agit d’un courant religieux du judaïsme. Si on se réfère aux écrits d’Aimé Pallière (écrivain et journaliste français, né en 1868 et mort en 1949) dans sa correspondance avec Elie Benamozegh (que je présente un peu plus tard), le noachisme peut se définir comme :

La religion de l’humanité n’est autre que le NOACHISME, non qu’elle ait été instituée par Noé, mais parce qu’elle remonte à l’alliance faite par Dieu avec l’humanité en la personne de ce juste. Voilà la religion conservée par Israël pour être transmise aux gentils.

(Le Sanctuaire Inconnu, page 132, éditions Ethos)

Il en dira plus dans cet autre passage :

Ce noachisme dont j’entendais parler pour la première fois me surprenait comme une chose inconsistante et dont le nom était pour le moins étrange. N’être plus chrétien de fait et conserver encore ce nom, n’être pas juif et me réclamer cependant d’une certaine manière du judaïsme, c’était là une position équivoque et pour laquelle je ne me sentais pas le moindre attrait.

(Le Sanctuaire Inconnu, page 136, éditions Ethos)

Et si on se réfère aux travaux d’Elie Benamozegh (rabbin, kabbaliste et philosophe, né en 1823 et mort en 1900) on peut dire du noachisme que :

Cette loi noachide ou universelle qui gouverne l’humanité tout entière, doit être nécessairement plus rationnelle que la loi mosaïque, plus appropriée au côté intelligible des choses. Ce caractère de rationalité est sa qualité dominante, nous dirons même constitutive. L’examen le plus superficiel suffit pour s’en convaincre.

Maïmonide, cependant, donne de la loi noachide une définition exacte quand il écrit : « Quiconque accepte les sept commandements et les observe avec soin est considéré comme un Gentil pieux, et il a part à la vie éternelle, mais c’est à la condition qu’il reçoive et exécute ces préceptes parce Dieu les a imposés dans sa Loi et qu’Il nous a révélé par Moïse notre maître que ce sont les ordonnances reçues à l’origine par les enfants de Noé; mais s’il pratique cela simplement parce que la raison lui suggère, il ne devrait point être regardé comme un prosélyte de la porte ou citoyen, ni comme un homme pieux ou un sage parmi les Gentils ».

(Israël et l’Humanité, page 296, Albin Michel, réimpression de 2023)

Moïse Maïmonide (né en 1138 et mort en 1204) fût considéré comme une grande autorité rabbinique au Moyen-Age. Il est l’auteur d’une abondante littérature, il est notamment l’auteur de la Mishné Torah, un des codes les plus importants de la loi juive. Pour conclure sur les définitions du noachisme, on peut encore citer Liliane Vana (docteur en science des religions) qui nous dit que :

Les lois noahides constituent – avant toute chose – le contenu d’une alliance, la première scellée entre Dieu et l’humanité tout entière. En effet, selon le texte biblique, la première alliance n’est pas scellée avec les patriarches, ni avec le peuple d’Israël au pied du mont Sinaï, mais bel et bien avec l’ensemble des êtres humains : avec Noé, les rescapés du Déluge et leur descendance (Genèse 9).

(Les lois noahides : Une mini-Torah pré-sinaïtique pour l’humanité et pour Israël, PARDÈS, 2012)

De ces définitions on peut retenir essentiellement l’universalité des valeurs du noachisme. Notons également l’importance à donner au sens de « première alliance » entre Noé et Dieu à la sortie du Déluge.

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Le judaïsme : une religion qui n’est pas prosélyte

Pour comprendre le noachisme, il faut comprendre que le judaïsme n’est pas une religion prosélyte. Ce qui veut dire que le judaïsme ne cherche pas activement à convertir des gens, même si la conversion est bien entendue permise. Toutefois c’est un processus relativement long au contraire d’autres religions et dont l’aboutissement n’est pas forcément garanti. De plus, le judaïsme pose de nombreuses contraintes qu’il faut accepter de prendre sur soi lorsque l’on se convertit comme les interdits alimentaires, l’apprentissage de l’histoire et de l’hébreu, les nombreux rites, ou encore les 613 commandements (mitsvot). C’est donc une religion exigeante dont le processus de conversion est difficile. Le judaïsme propose ainsi une autre voie aux non-juifs, parallèle au judaïsme. Il s’agit du noachisme qui est détaillé dans la législation juive comme nous le verrons en détail dans la suite de cet article. Elie Benamozegh en dit :

Le noachisme nous est présenté, à l’avènement du mosaïsme lui-même, comme le premier degré d’une échelle que l’Israélite doit franchir avant de professer la loi mosaïque. Cela est vrai qu’Israël, à la sortie d’Egypte, parcourt distinctement ces deux degrés; il est d’abord initié à la loi noachide, et c’est seulement après cette initiation préalable qu’il reçoit la Loi de Moïse.

(Israël et l’Humanité, page 277, Albin Michel, réimpression de 2023)

Plutôt que de devenir juif, un non-juif devrait donc d’abord songer à devenir un adhérent du noachisme. Notamment si la personne n’a pas les moyens matériels et humains de se convertir au judaïsme (éloignement géographique, incapacité à suivre les mitsvot etc…) Sauf si bien entendu la personne est réellement faîte pour être juive, auquel cas il faudra privilégier la conversion au judaïsme et faire preuve de persévérance. Devenir noachide peut aussi être une première étape en vue d’une conversion au judaïsme. Parallèle ne signifie pas égal, et il est important de dire qu’un noachide ne sera jamais considéré comme juif. C’est important de le souligner car il y a parfois une confusion comme nous le verrons plus loin.

Retenons de cette partie que le noachisme est un peu comme une « troisième voie » entre juif et non-juif.

Quelques textes à lire

Avant d’aller plus loin, je vous propose d’évoquer brièvement quatre textes/ouvrages qui sont cités ici et qui me semblent indispensables à la compréhension de ce qu’est le noachisme.

Israël et l’Humanité d’Elie Benamozegh

Il serait difficile d’aller plus loin sans d’abord découvrir le livre « Israël et l’Humanité » d’Elie Benamozegh qui explicite ce qu’est le noachisme. Pour faire une brève synthèse de cet ouvrage, Elie Benamozegh plaide la chose suivante : les juifs doivent suivre la Loi de Moïse et les non-juifs doivent suivre le noachisme. Elie Benamozegh explique sur plusieurs chapitres ce qu’est le noachisme, son rapport à la Loi de Moïse et détaille le sens des différents commandements. Il en parle plus particulièrement dans les chapitres « Les Noachides » et « La Loi Noachide ».

Le Sanctuaire Inconnu d’Aimé Pallière

Difficile également d’ignorer le livre « Le Sanctuaire Inconnu » d’Aimé Pallière où ce dernier évoque sa « conversion » au judaïsme (ou plutôt devrait-on parler de son rapprochement avec le judaïsme que d’une vraie conversion, car Aimé Pallière ne s’est jamais converti au judaïsme) et parle du noachisme que lui enseigna son maître à penser Elie Benamozegh.

Le noachisme aujourd’hui d’Oury Cherki

Dans son texte « Le noachisme aujourd’hui » le rabbin Oury Cherki (né en 1959 en Algérie) revient sur ce qui fait le noachisme aujourd’hui. Il évoque notamment son organisation le « Centre Noachide Mondial » et évoque la place du noachisme dans le judaïsme. Il insiste notamment beaucoup sur le besoin de reconnaissance du noachisme. Dans ce texte, il traite notamment de la vocation universelle du message d’Israël et du statut des noachides. Il traitera enfin le sujet de la loi noachide et des valeurs qui y sont rattachées.

Les lois noahides : Une mini-Torah pré-sinaïtique pour l’humanité et pour Israël par Liliane Vana

Dans ce texte, Liliane Vana explore en détail l’histoire et ce que sont les lois noachides. Elle revient notamment sur les sources juives historiques qui codifient le noachisme. Comme le titre de son texte l’indique, Liliane Vana nous explique en quoi les lois noachides constituent une sorte de « mini-Torah » pour l’humanité dans la mesure où il s’agit de lois données après le Déluge dans le cadre de la première alliance entre Dieu et l’Humanité. Après avoir abordé le sujet de savoir qui sont les noachides en tenant compte de la tradition littéraire juive, Liliane Vana s’intéresse ensuite à la place des lois noachides dans le cadre de la loi juive (Halakha). Elle s’intéresse ensuite à l’histoire exacte des lois noachides, toujours dans la perspective de la tradition littéraire juive, et s’intéresse également au dénombrement exact des lois. Enfin, elle traitera du contenu de ces lois et de leur comparaison avec la Loi de Moïse révélée au mont Sinaï.

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Les Sept lois de Noé et leur origine

Quelle que soit la définition que l’on retient, le noachisme implique selon le judaïsme l’adhésion aux Sept lois dites de Noé (parfois l’ordre ou les intitulés peuvent varier un peu) :

  • d’établir des tribunaux : établir la justice
  • de l’interdiction de blasphémer : respecter Dieu
  • de l’interdiction d’idolâtrie : ne croire qu’en Dieu
  • de l’interdiction d’unions illicites : ne pas pratiquer des relations immorales
  • de l’interdiction d’assassiner : respecter la vie humaine
  • de l’interdiction de voler : respecter la propriété d’autrui
  • de l’interdiction de manger la chair arrachée à un animal vivant : ne pas faire preuve de cruauté avec les animaux

En hébreu, on parle de :

Sheva Mitzvot B’nei Noach

Soit (n’oubliez pas que l’hébreu se lit de droite à gauche, plus d’informations sur l’hébreu ici) :

שבע מצוות בני נח

Il s’agit des lois les plus sociales possibles pour un être humain : interdiction du meurtre, de l’immoralité, de voler, de faire souffrir les animaux, établir la justice etc… On peut même dire qu’il s’agit d’une morale universelle valable pour l’ensemble des peuples. Mais ici il ne doit pas s’agir d’une morale mais au contraire d’une Loi. Un commandement mérite quelques explications, celui d’établir des tribunaux. Il s’agit du seul commandement positif (« fais ») alors que les autres commandements sont négatifs (« ne fais pas »). L’établissement des tribunaux peut s’entendre comme un commandement « politique » dans le sens d’un appel à action pour établir la justice.

D’où viennent-elles ? Pour partie de la Torah (les 5 premiers livres de la Bible Hébraïque appelée Tanakh qui regroupe la Torah (la Loi ou Pentateuque), les Nevi’im (les Prophètes) et les Ketouvim (les Autres Écrits ou Hagiographes)), on peut à cet effet éventuellement citer le livre de la Genèse ou « Au commencement » ou Bereshit chapitre 9 (les citations sont issues de la traduction de la Bible dite Segond 21) :

Seulement vous ne mangerez aucune viande avec sa vie, avec son sang […] Si quelqu’un verse le sang de l’homme, son sang sera versé par l’homme, car Dieu a fait l’homme à son image.

On retrouve dans la Torah d’autres interdictions comme celles de voler, de l’idolâtrie etc… mais ces dernières ne sont pas forcément données spécifiquement aux descendants de Noé. L’alliance entre Dieu et Noé décrite dans la Genèse ne mentionne pas ces règles. Nous avons simplement le passage suivant :

Dieu dit encore à Noé et ses fils : « J’établis mon alliance avec vous et avec votre descendance après vous, avec tous les êtres vivants qui sont avec vous, tant les oiseaux que le bétail et tous les animaux de la terre, avec tous ceux qui sont sortis de l’arche, avec vous les animaux de la terre. J’établis mon alliance avec vous : aucune créature ne sera plus supprimée par l’eau du déluge et il n’y aura plus de déluge pour détruire la terre ».

Genèse 9

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A titre de comparaison, l’alliance conclue avec Moïse sur le mont Sinaï est clairement mentionnée dans le Tanakh (ou Ancien Testament) et sans ambiguïté si on peut dire. Citons ici les dix commandements donnés à Moïse dans le livre de Exode ou « Noms » ou Shemot chapitre 20 :

Alors Dieu prononça toutes ces paroles : « Je suis l’Éternel ton Dieu, celui qui t’ai fait sortir d’Egypte, de la maison d’esclavage.

  1. Tu n’auras pas d’autres dieux devant moi
  2. Tu ne feras pas de sculpture sacrée ni de représentation de ce qui est en haut dans le ciel et en bas sur la terre et dans l’eau plus bas que terre. Tu ne te prosterneras pas devant elles et tu ne les serviras pas [….]
  3. Tu n’utiliseras pas le nom de l’Éternel, ton Dieu, à la légère […]
  4. Souviens-toi de faire du jour du repos un jour saint. Pendant 6 jours, tu travailleras et tu feras ce que tu dois faire. Mais le septième jour est le jour du repos de l’Éternel, ton Dieu. […]
  5. Honore ton père et ta mère […]
  6. Tu ne commettras pas de meurtre
  7. Tu ne commettras pas d’adultère
  8. Tu ne commettras pas de vol
  9. Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain
  10. Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain […] [ni] la femme […] ni son esclave, ni sa servante, ni son boeuf, ni son âne, ni quoi que ce soit qui lui appartienne

Exode 20

En comparaison avec les Sept lois de Noé, nous dénombrons ici deux commandements positifs (« fais ») et huit commandements négatifs (« ne fais pas »). Aucune trace ici des Lois dites de Noé. On peut d’ailleurs se demander pourquoi les Lois de Noé ne reprennent pas par exemple le Shabbat ou encore l’absence de mensonge. Faut-il comprendre que les les Lois de Noé sont déduites implicitement de l’alliance nouée entre Dieu, Noé et ses descendants ? En l’état rien ne permet de l’étayer dans la mesure où la Torah ne décrit pas les contours de cette alliance dans des termes sans équivoque. D’où proviennent-elles vraiment alors ? Elles semblent donc davantage déduites de façon exégétique (c’est à dire par analyse du texte sacré) comme l’explique Liliane Vana avec cet exemple :

Rabbi Yohanan, amora palestinien (250-290) et recteur de l’académie de Tibériade, les déduit grâce à une méthode exégétique bien particulière. En prenant chaque mot de Genèse 2, 16 et, en le mettant en regard avec un autre verset biblique qui lui donne sens, il parvient à la conclusion que chaque mot du verset correspond à une loi noahide. Voici ce que dit le verset : YHWH-Elohim donna un ordre à [l’être] humain en disant : de tous les arbres du jardin manger tu mangeras mais… et voici le résultat de cette lecture particulière de R. Yohanan que nous présentons dans l’ordre des mots hébraïques :

— [Il] donna un ordre (dinin) : obligation d’établir des institutions judiciaires pour juger les différends entre les humains (v. Genèse 18, 19);
— YHWH (birkat ha-shem) : interdiction de blasphémer le Nom divin
(v. Lévitique 24, 16);
— Elohim (‘abodah zarah) : interdiction de l’idolâtrie (v. Exode 20, 3);
— à l’humain (shefikhut damim) : interdiction de l’homicide
(v. Genèse 9, 6);
— en disant (gilluy ‘arayot) : interdiction des unions sexuelles illicites
(Jérémie 3, 1);
— de tous les arbres du jardin (gezel) : interdiction de voler;
— manger tu mangeras (’ever min ha-hay) : interdiction de consommer
un fragment de chair arrachée sur un animal vivant.

(Les lois noahides : Une mini-Torah pré-sinaïtique pour l’humanité et pour Israël, PARDÈS, 2012)

L’existence de ces lois est attestée dans la littérature juive ancienne comme nous l’explique encore Liliane Vana :

D’un point de vue historique, les lois noahides sont attestées dans les textes juifs anciens, bien avant la littérature rabbinique, voire bien avant la littérature tannaïtique. Elles sont déjà mentionnées dans :

1°) Le livre des Jubilés (7, 20-25) mais sans aucune précision de nombre. Noé y est représenté comme un père qui exhorte ses enfants à respecter les lois divines. « Il prescrivit à ses enfants d’accomplir la justice, de couvrir la honte de leur corps, de bénir leur Créateur, d’honorer père et mère, d’aimer chacun son prochain, de se garder de la fornication, de l’impureté et de toute violence. C’est, en effet, pour ces trois motifs qu’il y a eu un déluge sur la terre : la fornication…, l’impureté… violence et répandre le sang…»

On date la composition du livre des Jubilés (dont des fragments ont été trouvés à Qumrân) de la fin du IIe siècle avant notre ère. On peut supposer que l’auteur reprend des traditions existantes et sans doute très anciennes. Nous savons par ailleurs que les traditions concernant des figures bibliques telles celles de Noé, Job, Daniel, etc., faisaient partie de la culture de l’orient ancien.

2°) Le livre des sybilles 24 sq., œuvre que l’on date de la fin du premier siècle. Dans ce texte, les «lois noahides» sont présentées comme des lois universelles que toutes les nations ont l’obligation d’accomplir.

3°) L’auteur des Actes des Apôtres 15, 20 fait l’injonction suivante à ses frères : « […] les païens […] qu’on leur recommande seulement de s’abstenir de ce qui a été souillé par les idoles, de la débauche, de l’usage des chairs étouffées et du sang. » on trouve les mêmes recommandations en Actes 15, 29; et 21, 25 ; I Corinthiens 8-10 ; Apocalypse 2, 20. Ces recommandations correspondent à une partie des lois noahides (cf. infra).

Dans la littérature rabbinique, les lois noahides sont attestées tant dans les textes halakhiques que aggadiques. La tosefta ‘Abodah Zarah 8, 4 est sans doute l’attestation halakhique la plus ancienne. Curieusement, en TB Sanhedrin 56b, les lois noahides ne sont pas déduites de la péricope du Déluge (Genèse 9) mais du verset interdisant à ’adam de consommer de l’arbre de la connaissance du bien et du mal (Genèse 2, 16).

(Les lois noahides : Une mini-Torah pré-sinaïtique pour l’humanité et pour Israël, PARDÈS, 2012)

Quelques termes méritent une explication. Le terme « tannaïtique » désigne une période de transmission des enseignements des Sages d’Israël entre la période du Second Temple (520 avant JC) et 200 après JC. L’abréviation « TB » désigne le Talmud de Babylone. Le Talmud est un peu comme le recueil de la loi juive, c’est un document central pour le judaïsme rabbinique. La Tosefta est une compilation de la loi orale. Les termes « halakhique » et « aggadiques » désignent respectivement la loi juive et les enseignements non législatifs de la tradition juive.

Edward Hicks, Public domain, via Wikimedia Commons

Et encore un peu plus loin son texte, Liliane Vana nous explique le contenu de ces lois et les désaccords qui existent dans la littérature juive quant au périmètre exact de ces lois :

Outre le désaccord entre les tannaïm sur le nombre de lois noahides, on constate également un désaccord sur leur contenu. Le passage le plus important est celui de t ‘Abodah Zarah (TB Sanhedrin 56a-b). Voyons le texte :

Nos Maîtres ont enseigné : sept commandements ont été donnés aux « enfants de Noé » : [l’obligation d’instituer des] tribunaux, [l’interdiction de] bénir le Nom [divin], l’idolâtrie, les relations sexuelles illicites, l’homicide, le vol, [le prélèvement d’un] fragment de chair sur un [animal] vivant. Rabbi Hananyah ben Gamliel dit : le sang d’un animal vivant également [leur est interdit], rabbi Hidqa dit : la castration également [leur est interdite], rabbi shime’on dit : la sorcellerie également [leur est interdite], rabbi Yose dit : tout ce qui a trait à la magie et à la sorcellerie mentionné dans la péricope (sur ces pratiques) en Deutéronome (11, 10-11) également [leur est interdit], rabbi el‘azar dit : […] croiser des animaux [hétérogènes] ou croiser les plantes [hétérogènes] leur est également interdit. » (TB Sanhedrin 56a-b).

(Les lois noahides : Une mini-Torah pré-sinaïtique pour l’humanité et pour Israël, PARDÈS, 2012)

Le terme « tannaïm » désigne ici les Sages d’Israël. Le rabbin Elie Benamozegh nous explique quant à lui :

La plus ancienne Beraïta les énumère ainsi qu’il suit : « Nos docteurs ont dit que sept commandements ont été imposés aux fils de Noé : le premier leur prescrit d’avoir des magistrats; les six autres leur défendent 1° le sacrilège; 2° le polythèisme; 3° l’inceste; 4° l’homicide; 5° le vol; 6° l’usage d’un membre d’un animal vivant.

(Israël et l’Humanité, page 300, Albin Michel, réimpression de 2023)

« Beraïta » désigne une tradition de la Torah Orale, cette dernière désigne comme son nom l’indique l’ensemble de la tradition transmise oralement et qui explicite la Torah dite Écrite (celle transmise à Moïse si on en croit la tradition).

Les Sept lois de Noé constituent donc le socle du noachisme. Il s’agit de lois, comme nous l’avons vu, qui peuvent faire office de morale universelle. Leur origine est mixte, puisqu’elles (les lois) puisent à la fois dans la Torah et dans la littérature juive traditionnelle.

James Tissot, Public domain, via Wikimedia Commons

Les pratiquants et les pratiques

On appelle les pratiquants de ce courant du judaïsme les Ben Noah (prononcé généralement noar) pour les hommes et les Bat Noah pour les femmes; que l’on peut aussi appeler des noachides. Les termes « Ben » et « Bat » veulent respectivement dire « fils » ou « fille », soit « fils/fille de Noé ». En hébreu cela s’écrit :

בני נח

Et en translittération :

Bnei Noach

Qui sont-ils ? Ou plutôt qu’est-ce que regroupe le terme de noachide ? D’après Liliane Vana :

Si l’on se place du point de vue du texte biblique, les Noahides, les « enfants de Noé » (beney Noah), ne sont pas les étrangers mais l’humanité tout entière avec laquelle Dieu a conclu une alliance et envers laquelle il a pris des engagements après le Déluge.

(Les lois noahides : Une mini-Torah pré-sinaïtique pour l’humanité et pour Israël, PARDÈS, 2012)

Oury Cherki nous offre une autre définition peut-être plus restreinte :

La condition humaine du noachide reste encore à définir. L’expression la plus plausible que m’en a donné une candidate au noachisme est : « appartenir à la sainteté à partir de l’extérieur ».

(Le noachisme aujourd’hui, PARDÈS, 2015)

Quand est-il de leur pratique quotidienne ? N’étant pas juif (même si le noachisme est un courant du judaïsme) les adhérents du noachisme ne sont donc pas tenus d’obéir aux mitsvot (commandements) de la loi juive, mais ils peuvent librement les observer à deux exceptions près :

  • L’étude de la Torah en profondeur leur est interdite
  • Ils peuvent marquer le jour du Shabbat mais doivent s’astreindre à faire au moins une action interdite (ce n’est donc pas un Shabbat complet)

Le Shabbat est le jour de repos pour les pratiquants du judaïsme. Cela peut donc donner lieu à des emprunts au judaïsme dans lequel le Ben Noah ou la Bat Noah « choisit » (le terme n’est pas le meilleur, mais vous aurez sans doute compris) ce qui peut l’intéresser dans le judaïsme. Ainsi certains appliqueront plus ou moins les mitsvot, certains feront partiellement Shabbat et d’autres prendront à cœur d’étudier la Torah sans pouvoir l’étudier en profondeur toutefois. Cela pourrait être interprété comme du judaïsme « light », d’où l’intérêt de répéter encore une fois que le noachide n’est pas juif. Toutefois, des emprunts sont possibles pour alimenter une pratique spirituelle. Certains pourront alors dire qu’il s’agit d’une nouvelle religion, mais il est important de souligner qu’il n’en est rien puisqu’il s’agit bel et bien d’un courant du judaïsme.

Rien n’empêche donc de lire des commentaires historiques/théologiques sur la Torah et le Tanakh (ou aussi appelé Ancien Testament dans les bibles chrétiennes) ne serait-ce que par intérêt philosophique. Je cite ici une liste non exhaustive d’ouvrages ou de collections d’ouvrages que l’on peut consulter à cet effet :

  • Les ABC de la Bible aux éditions du Cerf
  • Les nombreux ouvrages de Thomas Römer sur l’Ancien Testament
  • « Panorama de l’Ancien Testament » par Henrietta C. Mears
  • « L’Ancien Testament à travers 100 chefs-d’oeuvre de la peinture » par Regis Debray
  • « L’Ancien Testament expliqué à ceux qui n’y comprennent rien ou presque » par Jean-Louis Ska
  • « Pour lire l’Ancien Testament », de Gérard Billon et Philippe Gruson
  • « 60 minutes pour comprendre la Bible », de Nick Page

Rien n’empêche non plus de s’imprégner des prières juives pour développer sa spiritualité. Je cite à cet effet deux ouvrages :

  • « Initiation à la prière juive, rites et prières de la vie quotidienne » de Jean Tourniac aux éditions Dauphin
  • « Prières juives » dans les Cahiers Evangile aux éditions du Cerf

Je cite sur le sujet des emprunts au judaïsme ce court passage écrit par Elie Benamozegh :

Maïmonide formule à son tour cette même doctrine lorsqu’il déclare que si le noachide, tout en observant sa propre loi, désire exécuter quelques-uns des préceptes du judaïsme, on ne doit point le lui interdire. Ainsi le judaïsme est si peu l’unique religion destinée à tout le monde que ses pratiques sont facultatives pour tous ceux qui ne sont pas Israélites de naissance.

(Israël et l’Humanité, page 278, Albin Michel, réimpression de 2023)

Gustave Doré, Public domain, via Wikimedia Commons

Ajoutons encore cet autre passage écrit de la main d’Elie Benamozegh où il mentionne notamment le Shabbat :

Le véritable esprit du judaïsme se manifeste clairement quand nous le voyons proclamer qu’il existe, chez les Gentils, des hommes justes, aimés de Dieu, dont les mérites font la prospérité des Nations. Ce n’est pas seulement Job que les Docteurs nous citent comme le juste par excellence. La Bible fournit d’autres exemples. Voici un remarquable passage d’Isaïe dans lequel il s’agit incontestablement des bons païens « Que le fils d’étranger qui s’est associé à l’Éternel ne dise pas : « L’Éternel me sépare de mon propre peuple !… » Le fils d’étranger qui s’est associé à l’Éternel pour le servir, pour aimer le nom de l’Éternel, pour être du nombre de ses serviteurs, tous ceux qui observent le sabbat pour ne point le profaner et qui persévèrent dans mon alliance, je les conduirai à ma montagne sainte, et je les réjouirai dans ma maison de prière, leurs holocaustes et leurs sacrifices seront agréés sur mon autel, car ma maison sera appelée une maison de prière pour tous les peuples ». Le païen dont il est ici question est-il celui qui se convertit entièrement au judaïsme ? Le nom de fils d’étranger qui lui est donné, même après sa conversion, ne permet pas de le supposer. Le langage qu’on lui fait tenir rend la supposition non moins improbable. Dirait-il après, après son affiliation au judaïsme, que l’Éternel le sépare de son peuple ? La phrase finale : « Car ma maison sera appelée une maison de prière pour tous les peuples » prouve d’ailleurs suffisamment qu’il s’agit d’autres nations et de toutes les races, sans distinction. Quant aux paroles relatives au respect du sabbat, il faut rappeler que le noachide a la faculté d’observer à son choix un ou plusieurs préceptes mosaïques, et par conséquent le sabbat. Mais nous devons ajouter que la tradition rabbinique impose au simple prosélyte de la porte, au vrai noachide, un demi-repos au septième jour.

(Israël et l’Humanité, page 282-283, Albin Michel, réimpression de 2023)

Notons que cette attitude n’est pas universellement acceptée puisque pour certains les noachides devraient se cantonner à respecter et appliquer les Sept lois de Noé sans s’intéresser aux pratiques juives (notamment le Shabbat, les fêtes juives etc…), alors que pour d’autres une forme de « judaïsation » doit s’effectuer et les noachides doivent pouvoir faire des emprunts au judaïsme et ainsi alimenter leur pratique quotidienne. La seconde opinion tient compte du fait que les Sept lois de Noé sont essentiellement des lois négatives (« ne fais pas ») ce qui pose des problèmes pour une pratique quotidienne.

Quid de la reconnaissance ? Le statut de Ben ou Bat Noah est avant tout un engagement strictement personnel qui ne fait pas forcément l’objet d’une reconnaissance avec un passage devant le rabbin. Comme me l’expliquait un rabbin, certains rabbins vont procéder à une reconnaissance du statut de Ben ou Bat Noah de la personne concernée, mais cela reste purement symbolique. C’est par exemple le cas du « Centre Noachide Mondial » dont le fondateur Oury Cherki dit ainsi :

Dans le cadre de notre organisation « Brit Olam – centre noachide mondial », il est fréquent que se présente un noachide, ou une famille entière, pour accepter en présence de trois rabbins la législation noachide et sa nature révélée.

(Le noachisme aujourd’hui, PARDÈS, 2015)

Elie Benamozegh explique une chose assez similaire dans son ouvrage « Israël et l’humanité« , je cite :

Quelles étaient donc les formalités qui marquaient le passage du polythéisme au noachisme ? Un texte indique que le Gentil qui se convertissait devait se présenter devant trois habérim (frères, compagnons), nom que l’on donnait aux Docteurs d’Israël.

(Israël et l’Humanité, page 297, Albin Michel, réimpression de 2023)

Même si cela est donc possible dans certains cas, il est important d’insister sur le fait qu’il n’y a pas forcément une obligation à passer devant un tribunal rabbinique pour devenir Ben ou Bat Noah. C’est donc avant tout un engagement entre soi et Dieu. Certains diront alors de ce statut, de façon peut-être un peu péjorative, que c’est être juif sans être juif. Il peut donc y avoir confusion, d’où l’importance de rappeler qu’un noachide n’est pas juif. Au mieux on peut le décrire comme judaïsant dans la mesure où il (le/la noachide) peut faire des emprunts au judaïsme dans le cadre de sa démarche spirituelle.

A la différence du judaïsme, le noachisme ne s’hérite pas. Chaque génération doit donc accomplir une démarche personnelle pour devenir Ben ou Bat Noah.

Nous avons donc vu ici qui sont les noachides et comment ils peuvent vivre leur croyance. Notez bien qu’il n’est pas universellement accepté que les noachides fassent des emprunts au judaïsme.

Des communautés naissantes

Toutefois, des communautés se sont formées pour permettre aux noachides de se regrouper et développer leurs idées. Les communautés sont souvent de petites tailles et assez dispersées de part le monde. Il n’y a pas une autorité centrale au-dessus de ces communautés, elles sont donc libres de s’organiser comme elles le souhaitent. Selon les sources il y aurait quelques dizaines de milliers d’adhérents dans le monde, et les plus grosses communautés se trouveraient notamment aux Etats-Unis ou encore aux Philippines. On peut parler à cet effet du « Centre Noachide Mondial » animé par le rabbin Oury Cherki qui dit du noachisme :

Cependant, le message universel d’Israël existe et il est transmis par la tradition sous l’appellation de noachisme […] Pour l’individu, l’adoption du noachisme consiste donc à reconnaître l’origine révélée et mosaïque de la loi morale, pour retrouver le statut de «celui qui accomplit par obligation»

(Le noachisme aujourd’hui, PARDÈS, 2015).

Conclusions

En conclusion nous pouvons dire du noachisme qu’il s’agit d’une doctrine universelle donnée par Dieu à l’ensemble de l’Humanité après le Déluge. Ces lois prennent à la fois leur source dans la Torah et dans la littérature juive ancienne comme nous avons pu le voir en détail dans cet article. Il s’agit de lois qui, on peut le dire, servent à former un cadre minimal de conduite pour l’Humanité. Toutefois il faut bien comprendre que le noachisme n’est pas une simple morale ou un code de conduite mais bien d’une Loi d’origine divine offerte après l’épisode du Déluge. Pour paraphraser Oury Cherki dans son texte « Le noachisme aujourd’hui« , il s’agit donc de reconnaître l’origine révélée de la loi morale. Nous avons pu également nous intéresser à divers auteurs comme Elie Benamozegh ou encore Aimé Pallière dont les travaux sont réellement pionniers dans le domaine du noachisme. Et enfin, nous avons également vu comme il était possible de pratiquer le noachisme via des emprunts au judaïsme.

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