Le judaïsme est aujourd’hui représenté par plusieurs courants distincts et n’est pas un bloc uniforme. C’est ce qui fait sa richesse. On peut citer à cet effet l’existence dans l’Antiquité de courants tels que les Sadducéens (qui étaient si on peut dire la classe dominante à l’époque du Second Temple), les Pharisiens (moins puissants que les Sadducéens mais davantage proches des classes populaires) ou encore les Esséniens (qui vivaient de façon communautaire et à qui l’on doit probablement les Manuscrits de la Mer Morte)… Courants aujourd’hui disparus mais qui prouvent à quel point l’histoire du judaïsme est complexe. Je propose ici une petite synthèse des différents mouvements et dénominations modernes.
Les deux grandes familles : ashkénazes et séfarades
On distingue deux grands groupes dans le judaïsme : les ashkénazes et les séfarades. Ces deux groupes se distinguent par leurs origines géographiques, les langues parlées et l’étude des textes sacrés, ainsi qu’au niveau de la liturgie. Je vous propose ici d’explorer quelques différences.
Ashkénazes ou Ashkénazim (אַשְׁכְּנַזִּים)

Les ashkénazes viennent principalement de l’Europe de l’Est. A la différence des séfarades, les ashkénazes étudient principalement le Talmud de Jérusalem (voir ici pour plus de détails sur ce qu’est le Talmud) et les écrits des sages de Tibériade, même si ils étudient aujourd’hui également le Talmud de Babylone. Les ashkénazes ont pour langue traditionnelle le yiddish (mélange d’allemand, d’hébreu, de russe et de polonais). Les ashkénazes sont majoritaires dans le monde avec un peu plus de 10 millions de fidèles.
Séfarades ou Séfaradim (סְפָרַדִּים)

Les séfarades proviennent de la péninsule Ibérique (plus particulièrement l’Afrique du Nord). A la différence des ashkénazes, qui étudient le Talmud de Jérusalem, les séfarades privilégient le Talmud de Babylone. Leur langue traditionnelle est le judéo-espagnol, mélange de langues ibériques et d’hébreu. Les séfarades sont minoritaires dans le monde, avec un peu plus de 3 millions de fidèles.
Le judaïsme rabbinique
Le judaïsme rabbinique se définit comme : « Forme de judaïsme reposant principalement sur l’autorité et la science du rabbin, apparue après la destruction du Temple de Jérusalem et, dans la foulée, de ses institutions, en 70 ap. J.-C. » comme le dit le Wiktionnaire, qui base lui même cette définition sur l’ouvrage : « Après Jésus. L’invention du christianisme« , sous la direction de Roselyne Dupont-Roc et Antoine Guggenheim, Albin Michel, 2020, page 92. Le judaïsme rabbinique implique pour les adhérents à ce courant d’approuver tant la Torah que la tradition Orale (principalement incarnée par le Talmud) qui en découle. Cela implique de reconnaître les interprétations des rabbins et de respecter leurs éventuels décrets. C’est le courant majoritaire au sein du judaïsme.
Les ultra-orthodoxes ou Haredim (חרדים)
Ce sont des juifs orthodoxes qui ont une pratique de la religion plus forte et ils peuvent aller jusqu’à refuser de vivre dans la modernité. Ce courant est né en réaction à l’assimilation progressive des juifs dans les sociétés européennes notamment (en particulier en France avec l’abrogation des discriminations contre les juifs à la Révolution Française) face ce qui était perçu comme une rupture dangereuse avec le judaïsme : développement d’une vision du judaïsme comme une affaire privée, intégration à la vie sociale du pays de résidence, mariages mixtes… On rencontre ce courant principalement en Israël, où ses membres vivent notamment dans le célèbre quartier de Mea Shéarim à Jérusalem ou encore dans la ville de Bnei Brak (toujours en Israël) peuplée majoritairement de juifs ultra-orthodoxes. Il est fréquent – même si ce n’est pas une règle absolue – chez les juifs ultra-orthodoxes que les hommes ne travaillent pas et se concentrent exclusivement à l’étude du Talmud dans des Yéchiva (en hébreu : ישיבה) , quand les femmes assument les tâches économiques. Les membres du courant ultra-orthodoxe sont reconnaissables à leur tenue particulière : perruques parfois pour les femmes, papillotes (ou plutôt péot, en hébreu : פֵּאוֹת) et barbes pour les hommes souvent habillés en noir etc…
Les orthodoxes
Les orthodoxes ont également une pratique forte de la religion, mais ils ne refusent pas de vivre dans la modernité. Ils sont, comme les ultra-orthodoxes, très attachés aux traditions et à la perpétuation de la loi juive – Halakha, qui se prononce alara et s’écrit en hébreu הֲלָכָה – mais acceptent d’avantage de compromis avec le monde moderne. Ils prônent donc une forme d’assimilation prudente : participer à la vie sociale du pays de résidence tout en conservant les traditions. Toutefois, la vie religieuse reste quand même très traditionnelle : offices en hébreu, séparation des hommes et des femmes à la synagogue, seuls les hommes comptent pour le Mynian (quorum minimum pour notamment faire la lecture de la Torah à la synagogue, et qui s’écrit en hébreu מִנְיָן), le judaïsme se transmet également par la mère (religion matrilinéaire), respect de la Chacherout… Le judaïsme orthodoxe met particulièrement l’accent sur l’acceptation de la Halakha de façon presque inconditionnelle. Un tout petit courant, dit les « modern-orthodox » cherche à y introduire un peu plus de modernité.
Les Massortis (מסורתית)
Le massortisme, aussi appelé conservatif, peut être décrit comme un judaïsme intermédiaire entre les orthodoxes et le mouvement libéral. Il est assez difficile de définir précisément le massortisme, mais on peut dire en résumé que c’est un judaïsme conservateur avec « des frontières ouvertes » comme indiqué sur le site internet du mouvement massorti français. Cela veut dire que les juifs Massortis acceptent certaines adaptations à la modernité, comme par exemple quant à la place des femmes à la synagogue (parfois mixité pendant les offices, ordination de femmes rabbins…) et dans la pratique religieuse, tout en restant attaché à certaines traditions comme le fait d’être une religion matrilinéaire, de faire les offices en hébreu, ou encore de respecter la Halakha… Toutefois, cette dernière ne doit pas être vue comme figée et immuable, mais au contraire dynamique.
Le mouvement libéral

C’est un courant d’inspiration, comme son nom l’indique, libéral apparu tout d’abord en Allemagne et qui a ensuite essaimé à travers le monde. Ce courant est particulièrement répandu aux États-Unis où il est majoritaire. Le judaïsme libéral – aussi appelé réformé – reconnait l’existence et la valeur de la loi juive – Halakha – mais souhaite une interprétation adaptée au monde moderne. Dans ses premières années, le judaïsme réformé à pu aller jusqu’à faire les offices uniquement en langue vernaculaire, décaler le Shabbat au dimanche dans certains pays voir même remettre en cause le rite de la circoncision. Avec le temps, ce courant du judaïsme est revenu à certains fondamentaux. Ainsi, les offices peuvent être célébrés dans la langue du pays (et non plus forcément en hébreu), les hommes et les femmes se côtoient à la synagogue, les femmes comptent au Mynian, des femmes rabbins sont nommées, le judaïsme peut être matrilinéaire mais aussi patrilinéaire (souvent à la condition que les enfants suivent une procédure de confirmation de leur judéité), libéralité parfois quant à la Cacherout…
Le judaïsme non-rabbinique
Il existe également au sein du judaïsme un courant minoritaire qui ne confère pas aux rabbins la qualité de décisionnaires en matière d’interprétation de la Bible Hébraïque (ils peuvent être des guides de communauté, mais leurs interprétations n’ont pas force de lois) ainsi que la tradition du Talmud (Loi Orale). Cela implique de considérer que seule la Bible Hébraïque fait force de Loi et de considérer les rabbins comme de simples guides de communauté. Les mouvements liés à ce courant ne reconnaissent pas, par exemple, les fêtes dites d’institution rabbinique et rejettent les nombreuses interprétations rabbiniques quant à l’application des lois de la Torah.
Le Karaisme ou Karait (קראות)

Courant aujourd’hui extrêmement minoritaire (on parle d’environ 50 000 personnes), le Karaisme se distingue des autres judaïsmes par son refus de l’autorité rabbinique et du Talmud. Ce courant considère que seule la Bible Hébraïque est valable comme source de lois et de foi, et que toutes les autres interprétations sont superflues. Il refuse donc l’autorité des rabbins dans la mesure où pour eux seul le texte sacré doit faire autorité. Ils pratiquent la patrilinéarité en ce qui concerne l’héritage du judaïsme. Ils ont également une façon de prier qui est différente : ils ne portent pas de chaussures à la synagogue (en souvenir de l’épisode du buisson ardent où Dieu avait demandé à Moïse de retirer ses sandales) et parfois se prosternent à même le sol pour prier. Ces pratiques leur ont parfois valu, à tort et souvent dans un objectif de dénigrement de la part du judaïsme rabbinique, d’être comparé aux musulmans. On dit du Karaisme qu’il a pu, à une époque, représenter jusqu’à 40% du peuple juif. On trouve des membres de ce courant principalement en Israël, mais aussi aux Etats-Unis.
Les Samaritains ou Somronim (שומרונים)

Courant encore plus minoritaire que le Karaisme, puisqu’on parle de seulement 1000 personnes tout au plus, les Samaritains doivent plutôt être vus comme pratiquant une religion parallèle au judaïsme plutôt que comme des juifs à part entière. Je les intègre toutefois dans la liste dans la mesure où la plupart des Samaritains ont la double nationalité israélo-palestinienne et dans la mesure où ils ont pu bénéficier de la loi israélienne dite « loi du retour » ce qui est une confirmation de leur judéité (même si dans la pratique ils ne se définissent pas comme tels). En plus de rejeter l’autorité des rabbins et de refuser la Loi Orale, les Samaritains ont leur propre version de la Torah qui se nomme le « Pentateuque Samaritain » et qui contient de très nombreuses variations avec le texte utilisé par les autres dénominations (on parle du texte Massorétique pour les autres dénominations, plus d’informations par ici). Les Samaritains ne reconnaissent que la Torah et pas les autres livres de la Bible Hébraïque. Le judaïsme est patrilinéaire. Une autre de leur particularité est de reconnaître comme lieu saint le Mont Gérizim près de Naplouse en Cisjordanie et non pas Jérusalem. Enfin, notons que la communauté des Samaritains est divisée entre la ville d’Holon en Israël et Kyriat Luza en Cisjordanie.
Les Beta Israël (בֵּיתֶא יִשְׂרָאֵל)

Les Beta Israël, qui constituent une population d’un peu plus de 170 000 personnes, aussi appelés les Juifs Ethiopiens représentent une communauté juive originaire de l’Ethiopie. L’origine de cette communauté, longtemps coupée du monde juif, reste encore aujourd’hui une énigme insoluble malgré plusieurs hypothèses avancées : ancêtres d’une tribu perdue d’Israël à la suite des exils face aux conquêtes Assyriennes et Babyloniennes qui serait la tribu de Dan (hypothèse retenue par le Grand Rabbinat d’Israël lorsqu’il a fallu reconnaître leur judéité), conversion après des contacts avec les juifs Yéménites, chrétiens éthiopiens ayant décidé de revenir au judaïsme du fait d’une forme de judaïsation… Ayant vécu coupés des autres communautés juives pendant très longtemps, les Beta Israël ne connaissaient pas le Talmud (et donc la Loi Orale) et possédaient leur propre version de la Bible Hébraïque contenant la Torah mais également des livres absents du canon hébraïque comme Tobit, Baruch ou encore le Testament des Patriarches. Les Beta Israël ont massivement émigrés en Israël après reconnaissance de leur judéité dans les années 1970. Arrivés en Israël, leur judaïsme a pour ainsi dire évolué pour se rapprocher du judaïsme rabbinique tout en conservant certaines de leurs traditions comme par exemple la fête du Sigd (סיגד) qui symbolise l’acceptation de la Torah et se rapproche de la fête juive de Chavouot (voir ici pour la liste de toutes les fêtes juives).
Notons, concernant les judaïsmes libéral ou Massortis, que ces derniers ne sont pas des judaïsmes « allégés » comme on peut parfois l’entendre. Ils mettent simplement l’exigence sur d’autres points, notamment dans le cadre des conversions. Toutefois cela peut poser des problèmes en Israël, où bien que les conversions libérales et massortis soient reconnues par l’Etat d’Israël, elles ne le sont pas forcément par le Grand Rabbinat d’Israël ce qui pose beaucoup de problèmes notamment pour les mariages dans la mesure où il n’existe pas de mariage civil en Israël.
Pour aller plus loin sur le sujet des courants du judaïsme, je vous invite à lire les ouvrages suivants :
- « Le Judaïsme : pratiques, fêtes et symboles » de Hélène Hadas-Lebel
- « Le Judaïsme : Histoire, fondements et pratiques de la religion juive » de Quentin Ludwig
- « Le Judaïsme dans la vie quotidienne » d’Ernest Gugenheim
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