Les personnages mystérieux de la Bible Hébraïque

Le Tanakh (תָּנָ״ךְ‎) (Bible Hébraïque) ou Ancien Testament comporte de nombreux personnages féminins et masculins essentiels à la progression de la narration, mais également comme vecteurs de valeurs dans le judaïsme (et dans une moindre mesure le christianisme). On peut pourtant citer à cet effet : Esther (אֶסְתֵּר‎), Bat-Seba (בַּת־שֶׁבַע) ou encore Matriarches (Rebecca (רִבְקָה‎), Sarah (שָׂרָה‎), Léa (לֵאָה‎) pour les femmes; ou encore Adam (אָדָם), Patriarches (Abraham ou Avraham אַבְרָהָם, Isaac ou Yitzhak יִצְחָק, Jacob ou Yakov en hébreu יַעֲקֹב) ou encore David (דָּוִד)… Mais il y a également d’autres personnes qui laissent notamment les chercheurs, mais sans doute aussi les lecteurs/croyants, songeurs du fait de l’absence notable de détails et d’articulations avec le reste du récit. L’idée étant de découvrir ces personnages, et d’explorer les quelques informations que nous avons sur eux. Toutes les citations bibliques sont issues de la traduction de la Bible dite Segond 21.

  1. Melchizedek (מלכי־צדק‎)
  2. Nephilim (נְפִילִים)
  3. Enoch (חֲנוֹךְ‎)
  4. Femme de Caïn (קין)
  5. Keturah (קְטוּרָה)
  6. Sorcière d’Endor ou Ba‘alat-‘ov be-‘Ein Dor (בַּעֲלַת־אֹוב בְּעֵין דּוֹר)
  7. Les fils de Moïse (מֹשֶׁה) : Gershom (גֵּרְשֹׁם‎) et Eliezer (אֱלִיעֶזֶר)
  8. Tsippora (צִפּוֹרָה)
  9. Béhémoth (בהמות) et Leviathan (לִוְיָתָן)
  10. Conclusions

Melchizedek (מלכי־צדק‎)

Dieric Bouts, Public domain, via Wikimedia Commons

Melchizedek est un personnage extrêmement mystérieux tant ses origines, son rôle et sa stature restent difficiles à déterminer. Le texte biblique nous donne à parler de lui seulement par deux fois. D’abord dans le livre de la Genèse ou « Au commencement » ou Bereshit (בראשית) au chapitre 14 :

Melchisédek, roi de Salem, fit apporter du pain et du vin. Il était prêtre du Dieu très-haut. Il bénit Abram en disant: «Qu’Abram soit béni par le Dieu très-haut, le maître du ciel et de la terre! Béni soit le Dieu très-haut qui a livré tes ennemis entre tes mains!» Abram lui donna la dîme de tout.

Un texte considéré par certains chercheurs comme un ajout potentiellement déconnecté de l’histoire originale. Ce texte se trouvant entre les deux autres textes suivants au chapitre 14 du même livre :

Lorsque Abram revint de sa victoire sur Kedorlaomer et sur les rois qui étaient ses alliés, le roi de Sodome sortit à sa rencontre dans la vallée de Shavé, c’est-à-dire la vallée du roi.

Le roi de Sodome dit à Abram: «Donne-moi les personnes et prends pour toi les richesses.» Abram répondit au roi de Sodome: «Je le jure, la main levée vers l’Eternel, le Dieu très-haut, le maître du ciel et de la terre : je ne prendrai rien de tout ce qui t’appartient, pas même un fil ni un cordon de sandale, afin que tu ne puisses pas dire: ‘C’est moi qui ai enrichi Abram.’ Il n’y aura rien pour moi, sauf ce qu’ont mangé les jeunes gens et la part des hommes qui m’ont accompagné: Aner, Eshcol et Mamré. Eux, ils prendront leur part.»

Le passage mentionnant Melchizedek s’insère ainsi de façon un peu étrange dans un texte mettant en scène une rencontre entre Abraham (אַבְרָהָם) et le roi de Sodome (jamais nommé). La seconde mention de Melchizedek se situe dans les livres des Psaumes ou Tehilim (תְהִלִּים) numéro 110 :

L’Eternel l’a juré, et il ne se rétractera pas: «Tu es prêtre pour toujours à la manière de Melchisédek.»

Mais sans doute encore plus curieux, c’est le grand nombre de mentions de Melchizedek dans le Nouveau Testament, et plus spécifiquement l’Epître aux Hébreux au chapitre 7 :

Ce Melchisédek était roi de Salem et prêtre du Dieu très-haut. Il est allé à la rencontre d’Abraham alors que celui-ci revenait de la défaite infligée aux rois; il l’a béni et Abraham lui a donné la dîme de tout. D’après la signification de son nom, Melchisédek est d’abord roi de justice; ensuite il est roi de Salem, c’est-à-dire roi de paix. On ne lui connaît ni père ni mère, ni généalogie, ni commencement de jours ni fin de vie, mais, rendu semblable au Fils de Dieu, il reste prêtre pour toujours.

Remarquez quelle est la grandeur de ce personnage, puisque le patriarche Abraham lui a donné [même] le dixième de son butin. D’après la loi, ceux des descendants de Lévi qui remplissent la fonction de prêtre ont l’ordre de prélever la dîme sur le peuple, c’est-à-dire sur leurs frères, qui sont pourtant issus d’Abraham. Mais Melchisédek, bien que ne figurant pas dans leur généalogie, a prélevé la dîme sur Abraham, et il a béni celui qui avait les promesses. Or, indiscutablement, c’est l’inférieur qui est béni par le supérieur. De plus, dans le cas des descendants de Lévi, ceux qui perçoivent la dîme sont des hommes mortels, tandis que dans le cas de Melchisédek, c’est quelqu’un dont on atteste qu’il est vivant. En outre Lévi, qui perçoit la dîme, l’a pour ainsi dire aussi payée par l’intermédiaire d’Abraham. Il était en effet encore dans les reins de son ancêtre lorsque Melchisédek est allé à la rencontre d’Abraham.

Si donc la perfection avait été possible à travers le ministère des prêtres lévitiques – car c’est bien sur lui que repose la loi donnée au peuple – était-il encore nécessaire que surgisse un autre prêtre, établi à la manière de Melchisédek, et qu’il soit présenté comme n’étant pas établi à la manière d’Aaron? Puisque le ministère de prêtre a été changé, il y a nécessairement aussi un changement de loi. En effet, celui que visent les passages cités appartient à une autre tribu, dont aucun membre n’a fait le service de l’autel. De fait, il est parfaitement clair que notre Seigneur est issu de Juda, tribu dont Moïse n’a absolument pas parlé concernant la fonction de prêtre. C’est plus évident encore quand cet autre prêtre qui surgit est semblable à Melchisédek, établi non d’après un principe de filiation prescrit par la loi, mais d’après la puissance d’une vie impérissable. De fait, ce témoignage lui est rendu: Tu es prêtre pour toujours à la manière de Melchisédek. Il y a ainsi abolition de la règle précédente à cause de son impuissance et de son inutilité, puisque la loi n’a rien amené à la perfection. Mais par ailleurs, il y a l’introduction d’une meilleure espérance, par laquelle nous nous approchons de Dieu.

Cela ne s’est pas fait sans prestation de serment. En effet, si les Lévites sont devenus prêtres sans qu’un serment soit prêté, Jésus l’est devenu à travers le serment prêté par Dieu qui lui a dit: Le Seigneur l’a juré, et il ne se rétractera pas: ‘Tu es prêtre pour toujours [à la manière de Melchisédek].’ C’est pour cela que Jésus est le garant d’une bien meilleure alliance.

Certains chrétiens ont parfois considéré Melchizedek comme une sorte d’archétype de Jésus. Quoi qu’il en soit, ni la Bible Hébraïque (ou Ancien Testament) ni le Nouveau Testament ne nous offrent de clés de réponse quant à ce personnage.

Nephilim (נְפִילִים)

Hieronymus Bosch, Public domain, via Wikimedia Commons

Ces figures mystérieuses, parfois assimilées aux géants, sont très peu décrites dans la Bible Hébraïque. On ne recense que deux apparitions des « géants » dans le texte biblique. La première se situe dans la Genèse ou « Au commencement » ou Bereshit (בראשית) au chapitre 6 :

Il y avait des géants sur la terre à cette époque-là. Ce fut aussi le cas après que les fils de Dieu se furent unis aux filles des hommes et qu’elles leur eurent donné des enfants. C’étaient les célèbres héros de l’Antiquité.

Puis dans le livre des Nombres ou « Dans le désert » ou Bamidbar (במדבר) après le retour du groupe parti visiter Canaan pour voir à quoi ressemblait le pays :

Caleb fit taire le peuple qui murmurait contre Moïse. Il dit: «Montons, emparons-nous du pays, nous y serons vainqueurs!» Mais les hommes qui l’y avaient accompagné dirent: «Nous ne pouvons pas monter contre ce peuple, car il est plus fort que nous», et ils dénigrèrent devant les Israélites le pays qu’ils avaient exploré. Ils dirent: «Le pays que nous avons parcouru pour l’explorer est un pays qui dévore ses habitants. Tous ceux que nous y avons vus sont des hommes de haute taille. Nous y avons vu les géants, les descendants d’Anak qui sont issus des géants. A nos yeux et aux leurs, nous étions comme des sauterelles.»

La question des géants passionne et intrigue dans l’imaginaire collectif notamment quant à la possibilité de leur existence réelle ou non. Le texte biblique en mentionne d’autres. On peut citer Og (עוֹג) et sans doute le plus connu, Goliath (גָּלְיָת). Toutefois, aucun de ces géants après l’épisode du Déluge ne semble avoir de lien avec les Néphilim.

Enoch (חֲנוֹךְ‎)

Przykuta, Public domain, via Wikimedia Commons

Il s’agit de l’un des nombreux patriarches antédiluvien (au sens, avant l’épisode du Déluge biblique) mentionné dans la longue chronologie des successeurs d’Adam (אָדָם) au chapitre 5 de la Genèse ou « Au commencement » ou Bereshit (בראשית) :

Voici le livre de l’histoire d’Adam. Lorsque Dieu créa l’homme, il le fit à la ressemblance de Dieu. Il créa l’homme et la femme et les bénit. Il les appela êtres humains lorsqu’ils furent créés.

A l’âge de 130 ans, Adam eut un fils à sa ressemblance, à son image, et il l’appela Seth. Adam vécut 800 ans après la naissance de Seth et il eut des fils et des filles. Adam vécut en tout 930 ans, puis il mourut.

A l’âge de 105 ans, Seth eut pour fils Enosh. Seth vécut 807 ans après la naissance d’Enosh et il eut des fils et des filles. Seth vécut en tout 912 ans, puis il mourut.

A l’âge de 90 ans, Enosh eut pour fils Kénan. Enosh vécut 815 ans après la naissance de Kénan et il eut des fils et des filles. Enosh vécut en tout 905 ans, puis il mourut.

A l’âge de 70 ans, Kénan eut pour fils Mahalaleel. Kénan vécut 840 ans après la naissance de Mahalaleel et il eut des fils et des filles. Kénan vécut en tout 910 ans, puis il mourut.

A l’âge de 65 ans, Mahalaleel eut pour fils Jéred. Mahalaleel vécut 830 ans après la naissance de Jéred et il eut des fils et des filles. Mahalaleel vécut en tout 895 ans, puis il mourut.

A l’âge de 162 ans, Jéred eut pour fils Hénoc. Jéred vécut 800 ans après la naissance d’Hénoc et il eut des fils et des filles. Jéred vécut en tout 962 ans, puis il mourut.

A l’âge de 65 ans, Hénoc eut pour fils Metushélah. Hénoc marcha avec Dieu 300 ans après la naissance de Metushélah et il eut des fils et des filles. Hénoc vécut en tout 365 ans. Hénoc marcha avec Dieu, puis il ne fut plus là, parce que Dieu l’avait pris.

A l’âge de 187 ans, Metushélah eut pour fils Lémec. Metushélah vécut 782 ans après la naissance de Lémec et il eut des fils et des filles. Metushélah vécut en tout 969 ans, puis il mourut.

A l’âge de 182 ans, Lémec eut un fils. Il l’appela Noé en disant: «Celui-ci nous consolera de notre travail et de la peine que ce sol procure à nos mains parce que l’Eternel l’a maudit.» Lémec vécut 595 ans après la naissance de Noé et il eut des fils et des filles. Lémec vécut en tout 777 ans, puis il mourut.

Noé était âgé de 500 ans quand il eut Sem, Cham et Japhet.

Mais ce qui est étrange pour les lecteurs attentifs, c’est cette courte histoire insérée dans le texte :

A l’âge de 65 ans, Hénoc eut pour fils Metushélah. Hénoc marcha avec Dieu 300 ans après la naissance de Metushélah et il eut des fils et des filles. Hénoc vécut en tout 365 ans. Hénoc marcha avec Dieu, puis il ne fut plus là, parce que Dieu l’avait pris.

Le texte s’arrête là : aucune explication ou raison. Le passage semble totalement impromptu et presque inséré là sans raison. Comme pour la femme de Caïn, il n’existe pas d’explications incontestables permettant d’expliquer ce mystère. Toujours est-il que le personnage, étonnamment et malgré la brièveté du récit, d’Enoch a suscité une importante littérature apocryphe. De nombreux textes portant son nom, ou se réclamant de lui, traite pour beaucoup des géants bibliques. Le plus important de ces livres étant ce que l’on appelle « l’Enoch éthiopien » : un texte considéré comme sacré et canonique par les églises orthodoxes chrétiennes éthiopiennes.

Femme de Caïn (קין)

Ephraim Moses Lilien, Public domain, via Wikimedia Commons

Tout le monde connait l’histoire du meurtre de Abel par son frère Caïn, une rivalité, nous dit le texte biblique, né de la non-reconnaissance de l’offrande de Caïn à Dieu et de la reconnaissance de celle de son frère Abel (הֶבֶל) racontée au chapitre 4 de la Genèse ou « Au commencement » ou Bereshit (בראשית) :

Au bout de quelque temps, Caïn fit une offrande des produits de la terre à l’Eternel. De son côté, Abel en fit une des premiers-nés de son troupeau et de leur graisse. L’Eternel porta un regard favorable sur Abel et sur son offrande, mais pas sur Caïn et sur son offrande. Caïn fut très irrité et il arbora un air sombre. L’Eternel dit à Caïn: «Pourquoi es-tu irrité et pourquoi arbores-tu un air sombre? Certainement, si tu agis bien, tu te relèveras. Si en revanche tu agis mal, le péché est couché à la porte et ses désirs se portent vers toi, mais c’est à toi de dominer sur lui.»

Cependant, Caïn dit à son frère Abel: «Allons dans les champs» et, alors qu’ils étaient dans les champs, il se jeta sur lui et le tua.

A la suite de cela, Caïn prend une femme et se marie, toujours au chapitre 4 de la Genèse. C’est cette rencontre qui a beaucoup, et continue, à questionner de nombreux lecteurs et exégètes :

Caïn eut des relations conjugales avec sa femme. Elle tomba enceinte et mit au monde Hénoc.

Normalement, à ce moment-là, toute l’humanité descend logiquement d’Adam (אָדָם) et Eve (חַוָּה). La seule chose que nous indique la Bible Hébraïque est la suivante au tout début du chapitre 4 :

Adam eut des relations conjugales avec sa femme Eve. Elle tomba enceinte et mit au monde Caïn. Elle dit: «J’ai donné vie à un homme avec l’aide de l’Eternel.» Elle mit encore au monde le frère de Caïn, Abel. Abel fut berger et Caïn fut cultivateur.

La naissance d’autres enfants n’est évoquée que bien plus tard au chapitre 5 :

A l’âge de 130 ans, Adam eut un fils à sa ressemblance, à son image, et il l’appela Seth. Adam vécut 800 ans après la naissance de Seth et il eut des fils et des filles. Adam vécut en tout 930 ans, puis il mourut.

Il semble logique d’en tirer pour conséquence qu’il n’y avait alors pas d’autres personnes d’après le texte biblique lui-même. C’est un sujet qui continue de questionner aujourd’hui. Plusieurs solutions peuvent expliquer ce problème, mais aucune ne peut être inférée du texte lui-même. La plus connue est l’idée d’un mariage de Caïn avec une soeur ou une proche cousine, mais le texte est évasif sur le lien de cette femme avec ce dernier et à ce moment-là d’après le texte lui-même, les deux seuls enfants d’Adam et Eve sont Caïn et Abel. L’autre possibilité logique est le mariage de Caïn avec une femme d’un peuple voisin, mais cela contredit le récit biblique en introduisant un peuple qui n’est pas décrit par le texte lui-même. Du fait de la nature parfois évasive du texte biblique (le sujet de cet article d’ailleurs) on peut également accepter l’idée que l’histoire est peut-être fragmentaire, ou, écrite au « mauvais moment » dans le texte biblique. Elle serait en effet plus cohérente après le chapitre 5.

Keturah (קְטוּרָה)

Haggadah de Venise, Public domain, via Wikimedia Commons

Keturah est une des concubines d’Abraham (אַבְרָהָם) mais la Bible Hébraïque reste très mystérieuse sur sa personnalité, son apparence et même ses relations avec le patriarche; tout l’inverse lorsqu’il s’agit d’Hagar (הגר‎) ou Sarah (שָׂרָה‎). Elle ne bénéficie que d’une seule mention dans le livre de la Genèse au chapitre 25 :

Abraham prit encore une femme du nom de Ketura. Elle lui donna Zimran, Jokshan, Medan, Madian, Jishbak et Shuach. Jokshan eut pour fils Séba et Dedan. Les descendants de Dedan furent les Ashurim, les Letushim et les Leummim. Les fils de Madian furent Epha, Epher, Hénoc, Abida et Eldaa. Tous ceux-là sont des descendants de Ketura.

Dans certains cercles rabbiniques, on a parfois avancé l’idée que Keturah et Hagar seraient une seule et même personne, mais ce point de vue semble très ténu, et n’est pas étayé par le texte biblique.

Sorcière d’Endor ou Ba‘alat-‘ov be-‘Ein Dor (בַּעֲלַת־אֹוב בְּעֵין דּוֹר)

Adam Elsheimer, CC BY 4.0, via Wikimedia Commons

Le personnage de cette probable nécromancienne est intéressant car il touche à un tabou absolu dans la Bible Hébraïque : la divination. D’autant plus que l’histoire se déroule au temps des rois en Israël. L’histoire de cette femme est racontée dans le livre de Samuel :

A cette époque-là, les Philistins rassemblèrent leurs troupes et formèrent une armée pour faire la guerre à Israël. Akish dit à David: «Tu dois savoir que vous ferez cette campagne avec moi, toi et tes hommes.» David répondit à Akish: «Eh bien! Tu verras ce que ton serviteur fera.» Akish dit à David: «Eh bien! Je t’établirai pour toujours comme mon garde du corps.» Samuel était mort. Tout Israël l’avait pleuré et on l’avait enterré à Rama, dans sa ville. Saül avait supprimé du pays ceux qui invoquaient les esprits et les spirites.

Les Philistins se rassemblèrent et vinrent installer leur camp à Sunem. Saül rassembla tout Israël et ils établirent leur camp à Guilboa. A la vue du camp des Philistins, Saül fut rempli de peur et son coeur trembla violemment. Il consulta l’Eternel, mais l’Eternel ne lui répondit pas, ni par des rêves, ni par l’urim ni par les prophètes. Saül dit alors à ses serviteurs: «Cherchez-moi une femme capable d’invoquer les esprits et j’irai la consulter.» Ses serviteurs lui dirent: «A En-Dor il y a une femme capable d’invoquer les esprits.» Alors Saül se déguisa en enfilant d’autres vêtements et partit avec deux hommes. Ils arrivèrent de nuit chez la femme. Saül lui dit: «Pratique donc la divination pour moi en invoquant un mort, en faisant monter pour moi celui que je t’indiquerai.» La femme lui répondit: «Tu sais ce que Saül a fait, la manière dont il a fait disparaître du pays ceux qui sont capables d’invoquer les esprits et les spirites. Pourquoi donc tends-tu un piège à ma vie? Veux-tu me faire mourir?» Saül lui jura par l’Eternel: «L’Eternel est vivant! Il ne t’arrivera aucun mal pour cela.» La femme demanda: «Qui veux-tu que je fasse monter pour toi?» Il répondit: «Fais-moi monter Samuel.»

Lorsque la femme vit Samuel, elle poussa un grand cri et dit à Saül: «Pourquoi m’as-tu trompée? Tu es Saül!» Le roi lui dit: «N’aie pas peur! Dis-moi plutôt ce que tu vois.» La femme dit à Saül: «Je vois un dieu monter de la terre.» Il lui dit: «Quelle est son apparence?» Elle répondit: «C’est un vieillard qui monte et il est enveloppé d’un manteau.» Saül comprit alors que c’était Samuel et il s’inclina le visage contre terre et se prosterna.

Samuel dit à Saül: «Pourquoi as-tu troublé mon repos en me faisant monter?» Saül répondit: «Je suis dans une grande détresse: les Philistins me font la guerre et Dieu s’est détourné de moi. Il ne m’a répondu ni par les prophètes ni par des rêves. Je t’ai appelé pour que tu me fasses connaître ce que je dois faire.» Samuel dit: «Pourquoi donc me consultes-tu, puisque l’Eternel s’est détourné de toi et qu’il est devenu ton ennemi? L’Eternel te traite comme je te l’avais annoncé de sa part: il a arraché la royauté de tes mains et l’a donnée à un autre, à David. Tu n’as pas obéi à l’Eternel, tu n’as pas fait sentir à Amalek l’ardeur de sa colère. Voilà pourquoi l’Eternel te traite aujourd’hui de cette manière. L’Eternel livrera même Israël avec toi entre les mains des Philistins. Demain, tes fils et toi, vous serez avec moi et l’Eternel livrera le camp d’Israël entre les mains des Philistins.»

Aussitôt Saül tomba à terre de tout son long. Les paroles de Samuel le remplissaient d’épouvante. De plus, il manquait de force, car il n’avait pris aucune nourriture de toute la journée et de toute la nuit.

La femme s’approcha de Saül et, le voyant très effrayé, elle lui dit: «Ta servante t’a écouté. J’ai risqué ma vie en obéissant aux paroles que tu m’as dites. Ecoute maintenant, toi aussi, ta servante: laisse-moi t’offrir un morceau de pain à manger. Ainsi, tu auras la force de te remettre en route.» Mais Saül refusa et déclara: «Je ne mangerai pas.» Ses serviteurs, et même la femme, insistèrent et il les écouta. Il se leva de terre et s’assit sur le lit. La femme avait chez elle un veau gras, qu’elle s’empressa de tuer. Elle prit de la farine, la pétrit et fit cuire des pains sans levain. Elle déposa le tout devant Saül et ses serviteurs, et ils mangèrent. Puis ils se levèrent et partirent la nuit même.

Bien que mystérieux, le personnage s’inscrit surtout dans la trame narrative de Saül (שָׁאוּל‎) qui dérive vers la folie la plus complète à mesure que David (דָּוִד), le simple berger ayant vaincu le géant Goliath, le surpasse progressivement. Sujet très peu connu du grand public, le personnage de la sorcière d’Endor a surtout suscité des débats théologiques complexes au sein du judaïsme et christianisme sur ce que la nécromancienne avait pu faire ou ne pas faire.

Les fils de Moïse (מֹשֶׁה) : Gershom (גֵּרְשֹׁם‎) et Eliezer (אֱלִיעֶזֶר)

Comme pour Tsippora (femme de Moïse) dont nous allons parlé après, le mystère est entier concernant le devenir exact des fils de Moïse : Geshom et Eliezer. Comme avec Tsippora, les auteurs de la Bible Hébraique ne sont pas prolixes avec ces personnages, ni sur leurs éventuelles interactions avec leurs père et mère. Leur naissance n’est pas décrite de façon extensive, mais les auteurs accordent une place importante à la symbolique de leurs prénoms pour Moïse, comme cela est décrit au chapitre 18 de l’Exode ou « Noms » ou Shemot (שמות) lors des retrouvailles de Moïse avec sa femme Tsippora après la sortie d’Egypte :

Jéthro, prêtre de Madian et beau-père de Moïse, apprit tout ce que Dieu avait fait en faveur de Moïse et d’Israël, son peuple, il apprit que l’Eternel avait fait sortir Israël d’Egypte. Jéthro, beau-père de Moïse, prit Séphora, la femme de Moïse. C’était après son renvoi. Il prit aussi les deux fils de Séphora; l’un s’appelait Guershom, car Moïse avait dit: «Je suis en exil dans un pays étranger», l’autre s’appelait Eliézer, car il avait dit: «Le Dieu de mon père m’a secouru et il m’a délivré de l’épée du pharaon.» Jéthro, le beau-père de Moïse, vint avec les fils et la femme de Moïse au désert où il campait, à la montagne de Dieu. Il fit dire à Moïse: «Moi, ton beau-père Jéthro, je viens te trouver avec ta femme, et ses deux fils l’accompagnent.»

Rien n’est dit dans le texte sur leurs interactions avec Moïse, Tsippora ou encore les autres hébreux dans le désert. Le texte est totalement silencieux. Nous savons toutefois que Guershom et Eliezer ont eu une descendance en témoigne cet extrait du livre des Chroniques ou Divrei Hayamim (דִּבְרֵי הַיָּמִים) au chapitre 23 :

Voici les fils de Kehath: Amram, Jitsehar, Hébron et Uziel, 4 en tout. Fils d’Amram: Aaron et Moïse. Aaron fut mis à part pour être consacré au lieu très saint, avec ses descendants, pour toujours. Ils devaient offrir les parfums devant l’Eternel, le servir et bénir pour toujours en son nom. Quant aux fils de Moïse, homme de Dieu, ils furent comptés dans la tribu de Lévi. Fils de Moïse: Guershom et Eliézer. Fils de Guershom: Shebuel, le chef. Les descendants d’Eliézer furent: Rechabia, le chef, et ses très nombreux fils; Eliézer lui-même n’eut pas d’autre fils. Fils de Jitsehar: Shelomith, le chef. Fils d’Hébron: Jerija, le chef. Amaria, le deuxième. Jachaziel, le troisième et Jekameam, le quatrième. Fils d’Uziel: Michée, le chef, et Jishija, le deuxième.

Guershom aurait eu un fils dénommé Jonathan, mentionné brièvement dans le livre des Juges ou Shoftim (שֹׁפְטִים) :

Les Danites enlevèrent ainsi ce qu’avait fabriqué Mica et emmenèrent le prêtre qui était à son service. Puis ils surprirent Laïs, un peuple tranquille et sans inquiétude. Ils le passèrent au fil de l’épée et brûlèrent la ville. Personne ne la délivra, car elle était située loin de Sidon et ses habitants n’avaient pas de relations avec les autres. Elle se trouvait dans la vallée qui s’étend en direction de Beth-Rehob. Les Danites reconstruisirent la ville et y habitèrent. Ils l’appelèrent Dan, d’après le nom de leur ancêtre, qui était un fils d’Israël. Cependant, la ville s’appelait auparavant Laïs. Ils dressèrent la sculpture sacrée pour leur usage propre et Jonathan, fils de Guershom et petit-fils de Moïse, ainsi que ses descendants, officièrent comme prêtres pour la tribu des Danites jusqu’à l’époque de la déportation des habitants du pays. Ils érigèrent pour leur usage propre la sculpture sacrée qu’avait fabriquée Mica pendant toute la période où la maison de Dieu fut à Silo.

Un autre fils possible de Guershom, Shemuel, est également mentionné dans le livre des Chronique au chapitre 26 même si cette interprétation fait parfois débat pour des raisons de temporalité :

D’autres Lévites, parmi lesquels Achija, étaient responsables des trésors de la maison de Dieu et des trésors des choses saintes. Parmi les descendants de Laedan, qui étaient issus des Guershonites par Laedan et qui étaient chefs de famille de Laedan le Guershonite, c’étaient Jehiéli et ses fils, Zétham et son frère Joël, qui étaient chargés des trésors de la maison de l’Eternel. Parmi les Amramites, les Jitseharites, les Hébronites et les Uziélites, c’était Shebuel, un descendant de Guershom, le fils de Moïse, qui était le chef des trésors. Les membres de sa parenté issus d’Eliézer étaient le fils de celui-ci, Rechabia, lui-même père d’Esaïe, père de Joram, père de Zicri, père de Shelomith. C’étaient ce Shelomith et ses frères qui étaient responsables de tous les trésors des choses saintes qu’avaient consacrées le roi David, les chefs de famille, les chefs de milliers et de centaines et les chefs de l’armée. C’était sur le butin pris à la guerre qu’ils les avaient consacrées pour l’entretien de la maison de l’Eternel. Tout ce qui avait été consacré par Samuel, le voyant, par Saül, fils de Kis, par Abner, fils de Ner, par Joab, fils de Tseruja, et par qui que ce soit était sous la responsabilité de Shelomith et de ses frères.

Tsippora (צִפּוֹרָה)

(Sandro Botticelli, Public domain, via Wikimedia Commons)

Le cas de la femme de Moïse est discuté longuement déjà dans deux précédents articles (« Introduction au commentaire de la parasha (פָּרָשָׁה) » et « Les femmes de la Bible Hébraïque« ), j’en parlerai donc brièvement ici. Sa relation avec Moïse est particulièrement frappante par l’importance du silence qui existe entre les deux personnages et l’effacement total du personnage de Tsippora (sa mort n’est même pas décrite dans la Bible Hébraïque). La femme de Moïse est un mystère dans la Bible Hébraïque. Les rares présences de Tsippora (son mariage avec Moïse, son désaccord avec ce dernier lors du retour de Moïse en Egypte et son arrivée au camp dans le désert de l’Exode) laissent songeur tant ils sont entourés dans un impressionnant silence. La seule fois où la Bible Hébraïque décrit une interaction verbale entre Tsippora et Moïse se situe dans le livre de l’Exode ou « Noms » ou Shemot (שמות) au chapitre 4 :

Pendant le voyage, à l’endroit où ils passaient la nuit, l’Eternel l’attaqua et chercha à le faire mourir. Séphora prit une pierre tranchante, coupa le prépuce de son fils et le jeta aux pieds de Moïse en disant: «Tu es pour moi un mari de sang!» Alors l’Eternel le laissa. C’est à ce moment-là qu’elle dit: «Mari de sang!» à cause de la circoncision.

S’ensuit le renvoi de Tsippora chez son père. Ce passage pourrait-il évoquer un rôle religieux important de Tsippora que les auteurs de la Bible Hébraïque n’ont pas développé ou un fragment d’une histoire plus complexe aujourd’hui perdue ? La fin de la vie de Tsippora n’est même pas évoquée. L’origine madianite de Tsippora pourrait-elle être entrée en conflit avec l’histoire de Moïse racontant la constitution d’une identité nationale et spirituelle ? Le seul passage évoquant le sujet est extrêmement ambigu dans le chapitre 12 de Nombres ou « Dans le désert » ou Bamidbar :

Miriam et Aaron parlèrent contre Moïse au sujet de la femme cushite qu’il avait épousée. En effet, il avait épousé une femme cushite.

Ce passage fait d’ailleurs toujours d’objet de nombreux débats : s’agit-il de Tsippora ou une autre femme ? Ces absences et silences troublants sur la femme du prophète le plus important de la Bible Hébraïque laissent la porte ouverte à de nombreuses interprétations. La simple « économie narrative » ne suffit pas à expliquer ce problème, même si la vie de Tsippora est effectivement secondaire comparée à celle de Moïse dans le récit biblique. Bien que la Bible Hébraïque n’est pas un caractère historique au sens moderne, elle n’en reste pas moins l’histoire du peuple hébreu. La question pourrait donc se poser de savoir si évoquer la nature des problèmes réels entre Moïse et sa femme aurait pu éclairer une facette problématique de Moïse. Quelque chose de plus problématique que les problèmes relationnels entre les Patriarches et leurs femmes par exemple. Leur désaccord violent lors du passage ambigu relatif à la circoncision peut faire pencher dans ce sens. Le fait que le retour de Tsippora auprès de Moïse soit le fait du son beau-père, Jéthro (Yitro en hébreu : יִתְרוֹ), témoigne également d’un certain manque de spontanéité de la part de Moïse à retrouver sa femme.

Béhémoth (בהמות) et Leviathan (לִוְיָתָן)

William Blake (1757-1827), Public domain, via Wikimedia Commons

Deux créatures mythologiques sont mentionnées dans la Bible Hébraique : Béhémoth et le Léviathan. Le premier, Béhémoth, est exclusivement mentionné dans le livre de Job ou Iyov au chapitre 40 (en fonction des traductions, c’est le mot « Béhémoth » ou un autre qui est utilisé, ici « l’animal ») :

»Vois l’animal par excellence que j’ai créé, tout comme toi! Il mange de l’herbe comme un boeuf. Vois: sa force est dans ses reins et sa vigueur dans les muscles de son ventre. Il raidit sa queue comme un cèdre. Les nerfs de ses cuisses sont entrelacés. Ses os sont des tubes de bronze, ses membres sont pareils à des barres de fer. Il est le chef-d’oeuvre de Dieu. Celui qui l’a fait l’a pourvu d’une épée. Il trouve sa nourriture dans les montagnes, là où jouent toutes les bêtes sauvages. Il se couche sous les lotus, il se cache dans les roseaux et les marécages. Les lotus le couvrent de leur ombre, les saules de la rivière l’environnent. Si le fleuve devient violent, il ne s’alarme pas; si le Jourdain se précipite contre sa gueule, il reste confiant. Est-ce quand il a les yeux ouverts qu’on pourra l’attraper? Utilisera-t-on des pièges pour lui transpercer le nez?

Il n’est pas réellement décrit physiquement (si ce n’est pour sa puissance physique comparée à différents animaux). On ne connaît pas son origine précise, il pourrait s’agir peut-être d’un emprunt à une culture voisine. Il est assez souvent représenté (comme avec l’image en haut) comme une sorte de rhinocéros ou d’hippopotame.

C’est aussi le cas du Léviathan dont l’origine et la forme précise sont mystérieuses. Bien que la mention de ce monstre puisse avoir une valeur allégorique, certains chercheurs pointent une certaine ressemblance entre la mention de ce monstre marin et d’anciens mythes Cananéens. La mythologie Cananéenne raconte en effet l’histoire d’un combat entre le dieu Baal Hadad et un serpent tortueux. Toutefois, contrairement à Béhémoth, le Léviathan est mentionné plusieurs fois dans le récit biblique. Exemple avec le chapitre 27 du livre d’Isaïe ou Yeshayahou :

Ce jour-là, l’Eternel interviendra à l’aide de sa dure, grande et forte épée contre le léviathan, ce serpent fuyard, oui, contre le léviathan, ce serpent tortueux. Il tuera le monstre qui est dans la mer.

Ou encore dans le livre de Job ou Iyov au chapitre 26 :

Par sa force il dompte la mer, par son intelligence il en brise l’orgueil. Son souffle donne au ciel la sérénité, sa main transperce le serpent fuyard.

Et encore dans les Psaumes ou Tehilim au chapitre 74 :

Dieu est mon roi depuis les temps anciens, lui qui accomplit des délivrances sur toute la terre. Tu as fendu la mer par ta puissance, tu as brisé les têtes des monstres sur les eaux; tu as écrasé la tête du léviathan, tu l’as donné pour nourriture aux habitants du désert. 

Conclusions

Avec l’évocation de ces nombreuses figures bibliques à la fois connues mais étonnamment mystérieuses, nous avons touché à un point intéressant concernant l’histoire et la composition probable de la Bible Hébraïque : son caractère éminemment fragmentaire et composite dans plusieurs de ses sections. Faute de réponses définitives, on reste surtout avec de nombreuses questions. Faut-il voir ses histoires comme des incohérences du récit biblique ? Ou alors comme les vestiges/fragments de récits plus complexes qui se sont perdus dans le long processus de rédaction de la Bible Hébraïque ?

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